Claude Monet - “Terrasse à Sainte-Adresse”

 Date : 1867
Type : huile sur toile
Dimension : 98 x 130 cm
Localisation : Metropolitan museum - New-York

UN BALCON SUR LA MER

Bien avant que Julien Gracq n’écrive son “Balcon en Forêt”, Claude Monet, En 1866, peint “Terrasse près du Havre” dit, aussi, “Terrasse à Sainte-Adresse”. Comme l’écrivain du XXe, le peintre du XIXe s. affectionne l’idée de montrer un promontoire aménagé depuis lequel il est loisible d’observer la nature environnante. L’idée n’est pas neuve qui, dès avant le Romantisme, pousse Moreau l’Aîné, par exemple, à faire de la clôture d’un jardin la rampe depuis laquelle un personnage admire un coin de campagne. Avec Monet et quelques autres, le bord de mer, littéralement « inventé » avec la vogue hygiéniste des toutes nouvelles stations balnéaires, fait son entrée dans la peinture comme objet pittoresque.
Monet brosse ici une quasi-scène de genre dont l’apparente simplicité est bien vite déconstruite par le spectateur. Entre deux mats, où flottent deux drapeaux (dont les couleurs - hormis le vert - condensent les teintes de la toile), un jeune couple semble échanger quelques mots. Sans doute, l’homme et la femme occupaient-ils les fauteuils laissés vacants dans le jardin. Ils se seraient donc levés pour quitter le demi-cercle des sièges où sont encore une ombrelle et un canotier, puis seraient venus se découper sur le rectangle bleu-vert délimité par les hampes. Les deux personnages, debout, posent comme poseraient deux figures dans l’atelier de quelque photographe, un atelier où, sur la toile de fond, en trompe-l’œil, des voiles et des navires à vapeur animeraient la mer un jour de grand soleil.
Dominant l’ensemble, un spectateur imaginaire - moi - observe la « salle » (le jardin) et la « scène » (le jeune couple devisant). Cette distribution des lieux qu’on retrouve chez nombre d’impressionnistes (Degas, Renoir, Lautrec, Zandomeneghi, Mary Cassatt, etc.) est une sorte de poncif, né sans doute du fait que la vie sociale est, depuis longtemps, considérée comme un théâtre. Quoi qu’il en soit le canotier (de trois-quarts) et l’ombrelle (de dos) font office d’ordonnateurs : ils organisent pour nous une histoire. De fait, c’est dans la ligne de visée des personnages assis que les personnages debout se sont distribués comme pour signifier quelque idylle.
À bien y regarder, nous comprenons que ce tableau est un tout à la fois homogène et composite. D’une part, les trois plans de l’image se présentent comme un “continuum” naturel ; d’autre part, ces mêmes trois plans forment une composition dont l’artifice-même paraît être le sujet de la peinture. Monet, en effet, a eu beau peindre un tableau de plein air, saisi sur le motif, il est non moins évident que sa toile est le fruit d’une construction dont la naturalité est un leurre.
Dans un ouvrage consacré à l’impressionnisme, le critique Jean Leymarie écrit : « […] L’admirable terrasse claquante d’oriflammes, somptueuses de fleurs, inondée de lumière, s’ouvre triomphalement sur le plein air marin et la présence de figures naturelles et bien saisies réalise un accord très heureux de charme intime et de vaste horizon, de vie contemporaine et de lyrisme éternel. » Difficile d’en disconvenir. Il reste que nous ajouterions volontiers que “Terrasse à Sainte-Adresse” est peut-être d’abord une réflexion subtile sur l’art de peindre, c’est-à-dire une démonstration en acte, comme cela se fit si souvent : un art poétique, en somme. “Terrasse à Sainte-Adresse” est peint à une époque où les artistes sont familiers de la photographie, voire des estampes japonaises arrivées en France depuis peu. Nul doute que leur vision du monde en ait été profondément affectée. Monet, pour sa part, nous donne, saisis dans le même espace, un encadrement et un cadrage concurremment au travail. Le contraste est en effet remarquable entre le monde parcouru de fluides et de scintillements et cette fraction du tableau à l’immobilité convenue. Construction où chaque plan de la toile constitue pour les autres à la fois un prolongement et une mise à distance. L’art moderne approche à grands pas.
Date : 1867
Type : huile sur toile
Dimension : 98 x 130 cm
Localisation : Metropolitan museum - New-York

UN BALCON SUR LA MER

Bien avant que Julien Gracq n’écrive son “Balcon en Forêt”, Claude Monet, En 1866, peint “Terrasse près du Havre” dit, aussi, “Terrasse à Sainte-Adresse”. Comme l’écrivain du XXe, le peintre du XIXe s. affectionne l’idée de montrer un promontoire aménagé depuis lequel il est loisible d’observer la nature environnante. L’idée n’est pas neuve qui, dès avant le Romantisme, pousse Moreau l’Aîné, par exemple, à faire de la clôture d’un jardin la rampe depuis laquelle un personnage admire un coin de campagne. Avec Monet et quelques autres, le bord de mer, littéralement « inventé » avec la vogue hygiéniste des toutes nouvelles stations balnéaires, fait son entrée dans la peinture comme objet pittoresque.
Monet brosse ici une quasi-scène de genre dont l’apparente simplicité est bien vite déconstruite par le spectateur. Entre deux mats, où flottent deux drapeaux (dont les couleurs - hormis le vert - condensent les teintes de la toile), un jeune couple semble échanger quelques mots. Sans doute, l’homme et la femme occupaient-ils les fauteuils laissés vacants dans le jardin. Ils se seraient donc levés pour quitter le demi-cercle des sièges où sont encore une ombrelle et un canotier, puis seraient venus se découper sur le rectangle bleu-vert délimité par les hampes. Les deux personnages, debout, posent comme poseraient deux figures dans l’atelier de quelque photographe, un atelier où, sur la toile de fond, en trompe-l’œil, des voiles et des navires à vapeur animeraient la mer un jour de grand soleil.
Dominant l’ensemble, un spectateur imaginaire - moi - observe la « salle » (le jardin) et la « scène » (le jeune couple devisant). Cette distribution des lieux qu’on retrouve chez nombre d’impressionnistes (Degas, Renoir, Lautrec, Zandomeneghi, Mary Cassatt, etc.) est une sorte de poncif, né sans doute du fait que la vie sociale est, depuis longtemps, considérée comme un théâtre. Quoi qu’il en soit le canotier (de trois-quarts) et l’ombrelle (de dos) font office d’ordonnateurs : ils organisent pour nous une histoire. De fait, c’est dans la ligne de visée des personnages assis que les personnages debout se sont distribués comme pour signifier quelque idylle.
À bien y regarder, nous comprenons que ce tableau est un tout à la fois homogène et composite. D’une part, les trois plans de l’image se présentent comme un “continuum” naturel ; d’autre part, ces mêmes trois plans forment une composition dont l’artifice-même paraît être le sujet de la peinture. Monet, en effet, a eu beau peindre un tableau de plein air, saisi sur le motif, il est non moins évident que sa toile est le fruit d’une construction dont la naturalité est un leurre.
Dans un ouvrage consacré à l’impressionnisme, le critique Jean Leymarie écrit : « […] L’admirable terrasse claquante d’oriflammes, somptueuses de fleurs, inondée de lumière, s’ouvre triomphalement sur le plein air marin et la présence de figures naturelles et bien saisies réalise un accord très heureux de charme intime et de vaste horizon, de vie contemporaine et de lyrisme éternel. » Difficile d’en disconvenir. Il reste que nous ajouterions volontiers que “Terrasse à Sainte-Adresse” est peut-être d’abord une réflexion subtile sur l’art de peindre, c’est-à-dire une démonstration en acte, comme cela se fit si souvent : un art poétique, en somme. “Terrasse à Sainte-Adresse” est peint à une époque où les artistes sont familiers de la photographie, voire des estampes japonaises arrivées en France depuis peu. Nul doute que leur vision du monde en ait été profondément affectée. Monet, pour sa part, nous donne, saisis dans le même espace, un encadrement et un cadrage concurremment au travail. Le contraste est en effet remarquable entre le monde parcouru de fluides et de scintillements et cette fraction du tableau à l’immobilité convenue. Construction où chaque plan de la toile constitue pour les autres à la fois un prolongement et une mise à distance. L’art moderne approche à grands pas.