Poirier - Colonne

 UNE UTOPIE CONCRÈTE
Titre de l'œuvre : Colonne
Artiste : Anne et Patrick Poirier
Date : 1984
Type : Sculpture en béton
Localisation : aire de Suchères, Puy-de-Dôme
Sur l’aire de Suchères, en bordure de l’autoroute qui va de Clermont-Ferrand à Saint-Etienne, Anne et Patrick Poirier ont installé, en 1985, une œuvre massive en béton poli intitulée “Colonne”. Cette œuvre est faite de deux parties (l’une couchée, l’autre encore debout) qui sont elles-mêmes composées de tronçons, homothétiques à ceux dont les colonnes des temples grecs et romains étaient faites. “Colonne” est une œuvre très étrange.
De quoi s’agit-il ? Des ruines de quelque sanctuaire dont on sait que l’Auvergne (contrée archéologique par excellence) est truffée ? La réponse vient vite : non ! En vérité, nous sommes confrontés à une sorte de double impossibilité : a) les objets que je vois sont des ruines à la fois intactes et comme neuves, ce qui est contradictoire en soi ; b) ces ruines se présentent bien comme des restes (démantèlement), mais elles ne peuvent en être puisqu’elles sont hors de proportions avec ce que nous connaissons. Aussi, nous perdons-nous en conjectures…
Nourrissons notre fantasme. L’œuvre est installée dans une vallée haute du Massif Central, région géologiquement tourmentée ; ce qui, en l’occurrence, pousse à la rêverie : on sait que la forge, à la chaleur de laquelle Héphaïstos martèle les armes d’Achille ou de Diomède, continue de rougeoyer secrètement au fond de la Vulcanie. Or, nous sommes en Vulcanie. Imaginairement parlant, l’aspect démesuré de la colonne en question n’est pas sans lien avec l’idée sublime que nous nous faisons du monde où vit le dieu boiteux. La “terribilità” que nous lui prêtons s’accorde volontiers à la démesure de l’antre où Héphaïstos s’active et dont la colonne semble être une partie exhumée.
En somme, Les Poirier, qui se sont magnifiquement adaptés à l’environnement qui leur a été offert, ont “informé” un paysage à l’instar des artistes du Land Art. Comme personne, sans doute, n’aurait pu le faire, Anne et Patrick évoquent magnifiquement ce que les anciens appelaient le “genius loci”, le génie des lieux. Grâce à eux, la montagne et les forces chthoniennes qui parcourent ses soubassements concourent à faire de “ces calmes blocs”, les traces d’un “obscur chaos”. Quelque chose de fantastique se fait jour. Le visiteur en est tout ébaubi.
La poésie des ruines est une vieille affaire qui n’en finit pas de se renouveler (de du Bellay à Chateaubriand et de Hubert Robert à Paul Delvaux). Les Poirier, qui s’inscrivent avec bonheur dans cette thématique esthétique et philosophique, nous offrent, avec “Colonne”, une œuvre puissante. Hypothèse de lecture : perdu dans cet improbable champ archéologique et comme ramené au rang de lilliputien, le visiteur pensera que “Colonne” anticipe sur le sort de l’autoroute elle-même : comme les pistes incertaines qui menaient aux temples d’antan, cette “highway”, à son tour, finira par se disloquer. Songeurs, nous sommes.
UNE UTOPIE CONCRÈTE
Titre de l'œuvre : Colonne
Artiste : Anne et Patrick Poirier
Date : 1984
Type : Sculpture en béton
Localisation : aire de Suchères, Puy-de-Dôme
Sur l’aire de Suchères, en bordure de l’autoroute qui va de Clermont-Ferrand à Saint-Etienne, Anne et Patrick Poirier ont installé, en 1985, une œuvre massive en béton poli intitulée “Colonne”. Cette œuvre est faite de deux parties (l’une couchée, l’autre encore debout) qui sont elles-mêmes composées de tronçons, homothétiques à ceux dont les colonnes des temples grecs et romains étaient faites. “Colonne” est une œuvre très étrange.
De quoi s’agit-il ? Des ruines de quelque sanctuaire dont on sait que l’Auvergne (contrée archéologique par excellence) est truffée ? La réponse vient vite : non ! En vérité, nous sommes confrontés à une sorte de double impossibilité : a) les objets que je vois sont des ruines à la fois intactes et comme neuves, ce qui est contradictoire en soi ; b) ces ruines se présentent bien comme des restes (démantèlement), mais elles ne peuvent en être puisqu’elles sont hors de proportions avec ce que nous connaissons. Aussi, nous perdons-nous en conjectures…
Nourrissons notre fantasme. L’œuvre est installée dans une vallée haute du Massif Central, région géologiquement tourmentée ; ce qui, en l’occurrence, pousse à la rêverie : on sait que la forge, à la chaleur de laquelle Héphaïstos martèle les armes d’Achille ou de Diomède, continue de rougeoyer secrètement au fond de la Vulcanie. Or, nous sommes en Vulcanie. Imaginairement parlant, l’aspect démesuré de la colonne en question n’est pas sans lien avec l’idée sublime que nous nous faisons du monde où vit le dieu boiteux. La “terribilità” que nous lui prêtons s’accorde volontiers à la démesure de l’antre où Héphaïstos s’active et dont la colonne semble être une partie exhumée.
En somme, Les Poirier, qui se sont magnifiquement adaptés à l’environnement qui leur a été offert, ont “informé” un paysage à l’instar des artistes du Land Art. Comme personne, sans doute, n’aurait pu le faire, Anne et Patrick évoquent magnifiquement ce que les anciens appelaient le “genius loci”, le génie des lieux. Grâce à eux, la montagne et les forces chthoniennes qui parcourent ses soubassements concourent à faire de “ces calmes blocs”, les traces d’un “obscur chaos”. Quelque chose de fantastique se fait jour. Le visiteur en est tout ébaubi.
La poésie des ruines est une vieille affaire qui n’en finit pas de se renouveler (de du Bellay à Chateaubriand et de Hubert Robert à Paul Delvaux). Les Poirier, qui s’inscrivent avec bonheur dans cette thématique esthétique et philosophique, nous offrent, avec “Colonne”, une œuvre puissante. Hypothèse de lecture : perdu dans cet improbable champ archéologique et comme ramené au rang de lilliputien, le visiteur pensera que “Colonne” anticipe sur le sort de l’autoroute elle-même : comme les pistes incertaines qui menaient aux temples d’antan, cette “highway”, à son tour, finira par se disloquer. Songeurs, nous sommes.