L’IMAGINAIRE SONORE DE LA BANDE DESSINÉE : 
L’EXEMPLE DE TINTIN D’HERGÉ

Les études de contenu mises à part (Tintin et la politique, Hergé et le racisme, Tintin et la guerre froide, etc.), parler d’Hergé et des Aventures de Tintin, revient principalement à s’en tenir au style : c’est-à-dire à la « la ligne claire » (qui relève, c’est vrai, d’une esthétique sur laquelle il y a beaucoup à dire). N’en pas parler, c’est alors mettre l’accent sur l’étrange rumeur des mots, des cris et des bruits qui caractérise cette bande dessinée bien particulière.
Évoquons d’entrée - mais pour vite les oublier - les onomatopées dont Hergé, d’ailleurs, fait un usage modéré. 


Tintin au Tibet, planche 2, dernière vignette.

Cette exception confirme la règle : au début de Tintin au Tibet, dans le salon d’un hôtel, Tintin éternue (« Tchang ») : son éternuement est dévastateur (mais s’agit-il d’une onomatopée), comme sont perturbateurs les éternuements du petit Sammy, chez Winsor McCay au début du siècle, aux USA. Il y a, de fait, chez maints dessinateurs de la veine comique une tentation de la cacograhie dont la cacophonie serait l’équivalent visuel.


Little Sammy Sneeze , Winsor McCay, réédition Delcourt, 20088

Quant aux onomatopées, graphiquement proches des tags, leur traitement mériterait une étude à part, mais elle aurait le défaut d’être sèchement technique.


L’affaire Tournesol, planche 59, case 1 ; Coke en stock, planche 35, case 11 ; Tag.

Notre propos, tournera principalement autour des colères du Capitaine Haddock ou bien encore des jacasseries de la Castafiore ou de son perroquet.  Mais, commençons par Tintin lui-même. Hergé publie Tintin chez les Soviets en 1929. C’est l’année de l’arrivée du cinéma parlant. Mais, c’est dans Tintin au Congo, puis dans Les Cigares du pharaon et Le Lotus Bleu que Tintin introduit explicitement ce dernier parlant en tant que processus (la TV apparaît dans l’Île noire). 


Tintin au Congo, planche 25, case11  

La BD consiste, on le sait, à coupler non pas tant le texte et l’image que le son imaginaire produit par les paroles supposément proférées par un personnage et le personnage en question. Ainsi, pour démasquer des intrigantsdans Tintin au Congo, le héros  filme-t-il une scène, et enregistre-t-il le son de cette dernière à l’insu des protagonistes. Ce faisant, Hergé se plaît à justifier technologiquement ce couplage image/son imaginaire, et à rejouer cette association. D’une certaine manière, l’auteur nous dit que la BD a vraiment précédé le cinéma parlant en faisant de ses lecteurs des synchroniseurs capables d’articuler le donné de l’image avec le bruit imaginaire de la bulle qui s’y incorpore. 
Hergé est fils spirituel d’Alain Saint-Ogan (qui utilise le premier en France les ballons, en 1925). Par parenthèse, Alain Saint-Ogan est lui-même tributaire des Américains Winsor McCay (Little Nemo in Slumberland) et George McManus (Bringing up Father), etc. 


McManus, Bringing up Father (pas de copyright).


Tintin chez les Soviets, planche 26 case 2 - Alain Saint-Ogan , Zig et Puce.

Marqué par son maître Saint-Ogan, Hergé, très vite, va trouver la bonne mesure graphique entre les signes du visuel et ceux du sonore : ça bruisse et ça s’agite, de concert, si j’ose dire. Je veux dire que, dans la case, le fumetto (bulle de BD en italien mais aussi petite fumée) est un tout graphique compact, intégré, qui, s’il est plus léger que l’air (puisqu’il flotte) pèse d’un poids symbolique comparable à celui du dessin. Certes, il nous faut un peu de temps pour lire le contenu des vignettes, mais (avec un peu d’habitude) ce temps se combine bien avec le temps de la discrimination des éléments (décor, personnages) de la situation représentée.  
Soit cette case extraite de On a marché sur la Lune :


On a marché sur la lune, planche 11, case 5.

Tintin a rattrapé Haddock qui, sur un coup de folie, a quitté la fusée : sa vie ne tient qu’à un fil. Les deux héros sont distribués dans la case de telle sorte qu’ils forment une sorte de structure en X avec les ballons dont chacun est pourvu. Le phylactère de Tintin (prescripteur ici, et orienté  grâce à son appendice de haut en bas) est situé dans le ciel de l’image, à la même hauteur que la tête du Capitaine ; la bulle du Capitaine (dont l’appendice est pointé de bas en haut) est venue, elle, se matérialiser là où il restait de la place. Ce qui ajoute à la « flottaison » anarchique du marin, comme soulevé par sa propre colère verbale. 
Avant d’aller plus loin dans l’exploration de notre thème, un petit détour historique s’impose sur la réinvention moderne du phylactère, dont je rappelle qu’en grec ce mot désigne une petite boîte à l’intérieur de laquelle se trouve un fragment de texte écrit, par extension un bijou. Ajoutons que les phylactères désignent dans la peinture médiévale ces rubans dont les mots, calligraphiés, sont censés être prononcés par les personnages représentés. On en trouve beaucoup dans les Annonciations (dialogue de Marie avec l’Ange Gabriel). Ces phylactères, dont les personnages sont enrubannés, sont fort différents des ballons modernes, pour leur part beaucoup moins sophistiqués. Les bulles de nos bandes dessinées, en outre, sont peuplées de mots proférés et non récités. 
La profération - littéralement ce qui est porté en avant - est un des modes du dire dans la bande dessinée. Chez Haddock, souvent de mauvaise humeur, c’est un mode de prédilection.


Coke en stock, planche 26, case 1

En voici un exemple frappant, car pour que la voix de Haddock puisse fuser, le marin a dû sortir, au sens propre du terme, de sa réserve (la femme arabe, en fait, l’a brusquement  dévoilé). Éructation du Capitaine. Parallèlement, Milou, pour aboyer est sorti de jarre où il se tenait caché. 
C’est Outcault, l’auteur du Yellow Kid,  qui met au point l’artefact du ballon en 1896 dans le New York Journal. 
Soit ce double strip :

À la fin d’une séquence, la BD - qui met en scène un gamin  sur la chemise  duquel sont écrites ses paroles - connaît une altération majeure.  
The Yellow Kid est confronté à un gramophone dont le pavillon émet des paroles gravées sur un disque. Or, le gramophone se tait soudain. Stupeur du gamin qui laisse échapper une bulle, comme pour compenser le silence de la mécanique. Chassé croisé. En vérité, les choses ne sont pas si simples, car voilà que sort de la boîte du gramophone un perroquet bavard… autre sorte de mécanique. Cette séquence rapportée par un historien de la BD, Thierry Smolderen, est un document de première importance. Elle nous montre que les paroles du Yellow Kid connaissent un changement de statut sémiologique. Elles étaient incorporées au personnage, qui les englobait, les voici qui s’émancipent du personnage. Autre idée : le perroquet est une mécanique ventriloque qui s’ex-prime, à moins que le phonographe soit un artefact atteint de psittacisme.
Autre exemple tiré du Yellow Kid :

Le ballon du perroquet est une sorte d’ectoplasme, un double parolier du personnage qui parle. Presque une émanation. D’une manière générale, l’appendice qui relie les paroles au personnage donne le sentiment qu’on a affaire à une sorte d’extravasement (ce qu’on a vu, plus haut, avec Milou jaillissant de sa jarre). Haddock (toujours lui) donne à cet égard et, à de certains moments, le sentiment qu’il se répand littéralement.


Tintin au Tibet, planche 14, cases 13 et 14.

Remarque : Certains ballons sont trop chargés. Ce qui est rare chez Hergé. Mais, chez  son ami et collègue Edgar Jacobs, dont les scénarii sont si complexes qu’ils nécessitent beaucoup d’explications, les phylactères relèguent parfois le dessin à un rôle subalterne. 


Edgar P. Jacobs, La Marque jaune,  planche 22, cases 4 et 6.

Autre  exemple, Tardi adaptateur de Léo Malet (l’auteur de polars) :


Tardi,120, rue de la gare, planche 103, cases 4, 5, 6.

En ces occurrences, nous avons sous forme de BD, une résurgence du récit illustré, voire, plus subtilement, du roman tout court où le dessin correspondrait aux disdascalies de son adaptation. 
Revenons à Hergé. Le ballon se prête aux trois régimes paroliers que sont la communication, l’émotion extériorisée, l’émotion intériorisée 

1 - La communication : par exemple, les questions /réponses.


Les Bijoux de la Castafiore, planche 37, case 6.

(Hergé ne rate pas une occasion de mettre en valeur la profonde imbécillité des Dupondt, ce qui est ici fort délectable). 

2 - L’émotion extériorisée : ce peut être l’injure (ce qui est lancé à la face de l’autre comme pour l’atteindre : to injury). On pourrait parler d’expectoration.


Coke en stock, planche 49, 9, 10, 11.

Faisons-nous pédant : en latin le verbe expectorare signifie chasser du cœur, notamment la colère. Cela, ensuite, voudra dire « cracher », au sens de d’avouer ce qu’on a sur le cœur. Ici Haddock crache ses invectives (comme on crache son venin) en se dotant précisément d’un facilitateur : un haut parleur (qui équivaut à l’appendice d’un ballon).

3 - L’émotion montrée, mais non articulée, autrement dit le retentissement intérieur.  


Les Bijoux de la Castafiore, planche 10, case 7

Les Bijoux. La Castafiore vient d’offrir un perroquet au Capitaine. L’image contient deux ballons dont l’un enferme des idéogrammes. Dans ce cartouche se trouve un message « rentré », le hiéroglyphe d’« une émanation psychique » fort expressive : du genre « saloperie de perroquet ! ». (Voyez par ailleurs l’étonnante symétrie des deux cases)
Autre exemple d’« émanation psychique », naturalisée, celle-là :


Coke en stock, planche 57, case 9. 

Soit cet homme grenouille. Nous assistons ici à une sorte de naturalisation des conventions graphiques qui font du ballon le « rejet » pneumatique du personnage. L’idée de bulle est deux fois dite : la pensée du personnage se confond  ici avec le volume d’air expulsé par l’homme-grenouille. 
Mais revenons au retentissement intérieur des sujets en proie à l’émotion et/ou à la douleur. Il y a, certes, un paradoxe à vouloir parler de « cris muets » ou de la parole rentrée de tel ou tel. Mais le fantasme sonore dans la bande dessinée est d’abord chose visuelle (comme le fait de vouloir rendre le mouvement au moyen de la peinture ou du dessin, par définition fixes).
Ce phénomène n’est pas neuf. Faisons l’impasse sur Méduse du Caravage et ne citons que le tableau, célèbre entre tous, de Munch, intitulé Le Cri (1893) et qui évoque la voix perçante d’un gnome menacé de se dissoudre dans ce qui l’environne. Nous entendons son cri déchirant et inaudible : perçante voix comme est « perçante » la longue oblique qui remonte du fond du fjord au premier plan de la scène et qui sert de garde-fou. 
Hasard ou nécessité graphique ? Hergé se souviendra de ce Cri muet assourdissant, dans la nuit américaine du Temple du Soleil, lorsqu’une éclipse a lieu. Rappelons-nous cet indien Quechua plus munchien que nature et qui hurle de terreur.


Le temple du soleil, planche 58, cases 14, 15. - Le cri, Munch, 1893.

Plus classiquement, dans la bande dessinée (notamment hergéenne), le retentissement intérieur peut se dire d’une façon sobre grâce à l’usage des points d’exclamation ou d’interrogation.


Tintin au Tibet, planche 47, dernière case. - Tintin au Tibet, planche 48, case 1.

Ce retentissement provient de ce qui ne cadre pas avec l’horizon d’attente du héros. Soit Tintin au Tibet. Haddock est dans un monastère. Il s’approche d’une fenêtre. Stupeur et tressautement. Ces deux signes typographiques, (?, !) inscrits dans des espaces réservés ectoplasmiques qui signifient la perturbation intérieure, débordent du périmètre de la case comme si cette dernière était la métaphore du corps-même du Capitaine, qui est « hors de lui-même ». Comme si pour être dite, la perturbation devait être échappée, expirée (soit dit en passant Haddock sursaute littéralement : exagération expressive typique de la BD comique en général). 
Le comble en la matière a sans doute été atteint par Hergé dans Vol 714 pour Sydney, lorsque Haddock, malmené par Alan, est soudain plongé dans le noir parce que le malfrat lui a enfoncé un chapeau sur la tête.   


Vol 714 pour Sydney, planche 21, case 11.

La réponse au stimulus, traduite par Hergé avec ce magnifique idéogramme, dit toute la cécité du monde : cécité à la fois mêlée de surprise et de colère. La colère noire et le fait de voir rouge sont ici deux affects on ne peut mieux condensés. 
Évidemment, la réaction verbale du marin ne se fait pas attendre : 


Vol 714 pour Sydney, planche 21, cases 12, 13.

Autre exemple de surprise muette dont le lecteur, cependant, entend la profération : l’ensemble de la case se faisant la traduction graphique d’un immense « Oh »… Pas même écrit.


Les Bijoux de la Castafiore, planche 11, dernière case.

On a sonné. Nestor ouvre la porte. Stupéfaction. Le spectacle qui s’offre à ses yeux laisse ici le majordome sans voix. Il faut tourner la page pour voir de quoi il retourne : une longue kyrielle de gens du voyage venus sonner à la porte du château. Ce qui nous importe ici n’est pas tant la cause de la réaction de Nestor que la façon dont Hergé a traité la surprise du personnage. Se détachant sur un fond noir, l’homme n’a eu que le temps d’émettre une bulle exclamative (!). En vérité, ce « Oh » non exprimé de la surprise est un « oh » rentré et,  parce que rentré, disséminé, en revanche, dans l’ensemble de la vignette, toute en rondeurs. Comme si le décor prenait ici en relais le cri muet du majordome. Si l’on tient que l’espace spécifique de la bulle est une métaphore de la bouche, on considèrera que cette métaphore atteint ici à la plus grande expressivité   
Le crâne chauve de Nestor accentue la circularité des traits du visage toutes choses auxquelles il faut évidemment ajouter les motifs des deux battants de la porte. De sorte que, modeste dans ses dimensions, notre vignette constitue une chambre d’échos où les rimes plastiques ne sont pas pour rien dans la stupéfaction du bonhomme (qui va jusqu’à nous montrer sa langue : petit point rouge obscène). S’élargissant comme des ondes, ces courbes disent  “l’origine du séïsme”. Hergé, toutefois, en jugule quasi instantanément les effets, qui oppose au débordement la géométrie, sage et ferme, des cases et des planches.  
La stupéfaction ici, ailleurs la colère où le chaos sont toujours chez notre auteur des désordres en chambre.
Quelques encore mots sur ce sujet. Il y a un lien étonnant dans la bande dessinée entre les bulles et la bouche des personnages. Considérant cette question du relais entre le ballon et le proférateur, les auteurs optent pour des traitements divers.


Tardi, Le Démon de la Tour Eiffel, planche 40, case 4

Soit cette case de Jacques Tardi (Le Démon de la Tour Eiffel). L’auteur, au sein de sa vignette utilise 4 procédés différents : La bouche d’Adèle, qui crie, est évidemment ouverte (on voit ses dents). La bouche du sinistre individu aux lunettes noires, qui ricane est tout simplement gommée du visage. La gueule du mage à gauche (avec sa seringue et une tiare sur la tête), est réduite à un point. Enfin, la barbe du sbire à droite masque sa bouche. Que tirer de cela ? Qu’en général le ballon n’a pas besoin d’être attribué à un personnage montré la bouche ouverte. La mimique générale de sa tête suffit. Le dessin de la bouche (mais par voie de généralisation celui de la tête, voire l’attitude entière) n’est pas un signe strictement mimétique mais un signe synthétique et qui n’a rien a voir avec ce que pourrait être un photogramme. 


Coke en stock, planche 48, case 7

Revenons à nouveau à Hergé. La bouche de Tintin est le plus souvent réduite à un simple rond ; celle du Capitaine - barbu - est souvent cette entame blanche convexe apte à signifier la colère ou la mauvaise humeur. Une sorte d’idéogramme qui ne dirait pas son nom.  
Avec l’invention du phylactère moderne, une autre idée s’est faite jour : les paroles s’échappent du personnage dans la mesure où celui-ci, comme un phonogramme ou un perroquet les porte en lui. En somme, se manifeste, même discrètement, l’idée d’une sorte de mémoire verbale du corps.

Ce sera notre dernier point 
Bien souvent, les personnages de bandes dessinées sont de sacrés bavards. Chez Hergé, ils ont, en outre, des tics verbaux. Comme si  les personnages, radotant, étaient chargés de réactualiser un certain programme. Sans doute est-ce la raison pour laquelle,  à la fin du XIX°s., la publicité pour les gramophones exploita l’image des volatiles radoteurs. 


Publicité vers 1900.

Ces oiseaux, on les trouve chez Outcault et Alain Saint-Ogan qui, dans une planche mémorable, associe la machine, le perroquet et le pingouin Alfred.

Alain Saint-Ogan, Zig et Puce. 

Hergé, on le sait, a un faible pour les papegais. Ils apparaissent plusieurs fois : dans Tintin au Congo, dans L’Oreille cassée, dans Le Trésor de Rackham Le Rouge, dans Les Bijoux de la Castafiore. 
Rackham Le Rouge. Nos héros débarquent sur une île qu’ils croient être l’île au Trésor. Ils sont accueillis par des perroquets étonnamment mal embouchés.


Le trésor de Rackham Le Rouge, planche 29, cases 4, 5, 6.

Ainsi que l’explique Tintin, le perroquet est non seulement un oiseau parleur mais aussi un oiseau enregistreur, une sorte de magnétophone à plumes. 
Dans ce passage a lieu un gag tout a fait symptomatique :


Le trésor de Rackham Le Rouge., planche 28, cases 2, 3.

En arrivant sur l’atoll, les héros entendent la phrase tonitruante « Que le grand Cric me croque » que l’ancêtre de Haddock, le Chevalier de Hadoque avait l’habitude de hurler. Puis, c’est la découverte de l’effigie en bois du Chevalier sculptées par les aborigènes d’alors), avec une bouche toute ronde. Lorsque les perroquets apparaissent le mystère est éclairci. Ce n’est pas le fétiche qui parlait mais les volatiles. Magie pour rire. 
Le psittacisme revient encore dans Les Bijoux, le plus drôlement du monde. 


Les Bijoux de la Castafiore, planche 19, cases7, 8. Planche 57, cases 5, 6.

L’idée d’enregistrement que nous avons rencontrée est également reprise. Coco, le perroquet, sonne comme sonne le téléphone, ce qui exaspère Haddock, déjà mis à rude épreuve. Cette mécanicité de la parole rabâchée est un trait de l’univers de Tintin : *Haddock ne cesse d’éructer, même si au delà des fondamentaux (Mille sabords et Tonnerre de Brest) il ajoute toujours de nouvelles unités à sa collection d’injures (Gyrophare, Catachèse, Rhizopode, Mégacycle, etc.) - *Tournesol et son maître mot : « toujours plus a l’ouest » - *Les Dupondt qui, outre leur tic verbal (je dirai même plus), ne ratent pas une occasion de s’emmêler les crayons : *il y a enfin, La Castafiore qui, comme les perroquets, revient. Elle commence sa carrière avec Le Sceptre d’Ottokar, la poursuit avec Les 7 Boules de Cristal, L’Affaire Tournesol, la continue avec Coke en Stock, Les Bijoux et dans une certaine mesure L’Alph’art


Les Bijoux,  planche 38, cases 12, 13, 14.


Dessin esquissé de l’Alph’art.

En vérité, la Castafiore est un perroquet en soi. Dans Les Bijoux elle est le symétrique, c’est à dire l’équivalent ou la métaphore de Coco le castrateur.


Les Bijoux, planche 10, case 3.

Dans les cauchemars de Haddock la Diva est ouvertement assimilée au perroquet 


Les Bijoux, planche 14, case 14 

Elle chante et rechante encore l’air des « Bijoux ». C’est-à-dire sa sexualité frustrée. Cette image - l’une des plus expressives d’Hergé - fait de la Castafiore une sorte de dea ex machina ou les spectateurs sont venus écouter la voix de leur maîtresse, ce qu’a leur manière les publicitaires de Pathé Marconi anticipèrent un jour avec cette étrange image des chiens au théâtre :


Publicité Emi, années 20.

Bijoux, op cit

La Diva est une femme phallique dont le chant, pareil au chant du coq, clame le désir : voyez cet équivalent peint par un artiste mexicain, Ruiz.       


Dessin de Ruiz.

Castafiore ne peut pas la fermer, pour l’exaspération de Haddock et notre plus grand plaisir. Tandis qu’elle chante un soir à Moulinsart, au milieu des gens de télévision, Hergé l’a cadrée fort malignement. 


Bijoux, planche 34, case 2.

À droite, en pleine lumière et en robe rouge, Bianca y va de son air favori ; à gauche, dans l’ombre la statue en bois du chevalier. Au garde à vous pour toujours, le fétiche transpose la crispation du Capitaine qui, hors champ, voue la chanteuse aux gémonies. La bouche grande ouverte de la statue crie sa mauvaise humeur.
Que le grand Cric LA croque, mille sabords !