Comment passe-t-on de certaines images visuelles 
à leurs équivalents linguistiques ?
ou 
Le dessin d'humour comme transposition 
(ou mise en figure) de l'imagerie verbale

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Avertissement
Ce texte est la forme légèrement remaniée d'une conférence faite à Canberra en juillet 2001, au Congrès d'études françaises de la région du Pacifique Sud. Que la directrice de ce congrès, Louise Maurer, soit ici vivement remerciée pour nous autoriser à publier cette étude.
Contrairement à certains, je crois à la vertu des exergues : ces hors-d'œuvre, pour moi, ont plus qu'une valeur décorative ou rhétorique. En tant que signes avant-coureurs, les exergues peuvent prédisposer l'esprit de ceux qui vous écoutent ou vous lisent. Tout dépend, évidemment, des exergues et de l'esprit dans lequel ils ont été préparés. Je voudrais vous en donner quelques uns, rapidement, en pointant leur valeur emblématique. Ils sont déjà des exemples, mais pas encore des preuves, ou plutôt ils sont des illustrations qui voudraient être de futures pièces à conviction. Trois exerga, brièvement commentés.

 

Illustration 1 : Le polichinelle dans le tiroir (carte postale début XXe s.)

Cette carte postale du début du siècle a pour titre « La Surprise de la mariée ». À cette époque qui ne connaît pas la contraception moderne, la surprise est ici celle de se retrouver enceinte. En langage argotique : « avoir un polichinelle dans le tiroir ». Or, cette jeune femme découvre une curieuse marionnette dans le tiroir de sa table de nuit... On peut conjecturer que cette carte postale d'un goût douteux - mais rhétoriquement fort intéres­sante - ne fut pas décodée par tout le monde.

 

Illustration 2 : La femme dans l'assiette (carte postale début XXe s.)

Cette carte postale du début du siècle est également d'un goût dou­teux. Elle est construite sur une gulliverisation du personnage. Cette gullivérisation masque et veut signifier dans le même temps que cette jeune personne, entourée de frites et promise à la « consommation » du client (c'est une nourriture sexuelle) est bien dans son assiette .

Troisième exemple (non illustré)
On connaît l'expression française « avoir un chat dans la gorge », qui n'étonne personne. Mais qu'on s'avise de prendre cette image verbale au pied de la lettre et le sentiment d'incongruité est ce qui s'impose d'abord à nous.

Entrons dans le vif du sujet.
Il y a une vingtaine d'années le quotidien français Le Monde publie un dessin d'humour destiné à moquer la pratique illicite de la prise de drogue dans les milieux de la communication.

 

Illustration 3 : Dessin d'Honoré

Ce dessin illustre un article sur ce sujet. L'auteur du dessin, Honoré, a représenté un homme assis à sa table de travail qui consomme, par voix nasale (et à l'aide d'une paille), un peu de cocaïne. Au deuxième plan, l'ombre portée de l'homme se détache sur le mur de son bureau. Mais, en lieu et place de la paille, Honoré a placé la silhouette d'un stylo à plumes. Cette distorsion entre la paille (signifiant par métonymie la prise de drogue) et le stylo (signifiant par métonymie le fait de rédiger) pousse naturellement le lecteur à opérer un travail mental dont le résultat est à peu près celui-ci : en prenant de la drogue, l'homme assis à sa table de travail se donne les moyens - artificiels, certes - de ne pas rester paralysé devant sa page blanche. La drogue l'aide à surmonter le handicap de la « panne intellec­tuelle » (autrement appelée « l'angoisse de la page blanche »).
Le dessin est construit sur une aberration visuelle qui se présente aussi comme un habile court-circuit où de la monstration simple (ceci est une paille, ceci est un stylo, etc.) on passe, sinon à la démonstration, du moins à l'explication : la transformation de la paille en stylo signifie ici une relation de causalité/conséquence. Derrière la paille, le stylo. On retrouve le vieux modèle scholastique du post hoc ergo propter hoc : après ceci, donc à cause de ceci, où consécution et causalité sont associées. En d'autres ternies, parce qu'il prend de la drogue, ce personnage se donne les moyens de dépasser un certain passage à vide.
L'invraisemblance de cette image est, à notre avis, surmontée grâce à deux autres éléments contextuels : un élément iconographique et un élé­ment linguistique.

Commençons par le plus simple :

1/ l'élément contextuel iconographique est le suivant : cette image s'ajoute au topos des personnages dont l'ombre portée ne correspond pas (ou pas exactement) à ce qu'ils sont. Une longue tradition sur laquelle nous n'avons pas le temps de disserter veut en effet que l'ombre - objet magique - dévoile des aspects cachés de l'individu :
Le Point (titre : « Ce que savent les français », année 90)
Sur une couverture, le magazine Le Point fait sa « une » sur la cul­ture générale des gens de l'hexagone. Ce n'est pas brillant. Un petit homme (un « petit adulte ») coiffé d'un bonnet d'âne se tient devant le tableau noir qui est en même temps une sorte d'écran géant où se découpe son ombre agrandie. Qu'il est médiocre ce petit Français, d'âge adulte, devant l'im­mensité de ses lacunes. Il est trahi par son ombre. Image de rêve d'une inquiétante familiarité, qui nous parle de nous, de nous qui nous mettons tous, peu ou prou, sur la sellette.

2/ Revenons à Honoré
À ce topos iconographique (il s'agit bien de cela), s'ajoute un second élément, linguistique, celui-là. Considérant le dessin en question, j'en arrive assez vite à l'hypothèse de lecture suivante :
Le personnage aspire par le nez des particules de cocaïne ; absorp­tion nasale qui, en français, peut se dire aussi inspiration. On sait par ailleurs que le fait de trouver des idées se dit aussi inspiration, étant entendu que la notion d'éveil spirituel ou intellectuel a partie liée avec le pneuma : le souf­fle, mot qui renvoie à la respiration, au sens physiologique du terme.
L'inspiration intellectuelle se fait par inspiration nasale (de cocaïne). La synonymie est donc prise en charge par le dessin. Quelque chose pro­che de la devinette se fait jour ici. Voulant y voir plus clair, j'écris à Honoré. Je lui soumets ma façon de voir les choses. Le dessinateur répond par retour du courrier : « je n'avais pas pensé à cela. Mais maintenant que vous me le dites...». J'en arrive alors à la conclusion qu'ayant à illustrer un propos donné (la prise de drogue - fait physique - pour pallier les insuffisances cérébrales - fait psychique), Honoré est arrivé à ce compromis visuel, sublimi­nal pour lui, où les deux « inspirations » se condensent en un tout malgré tout redécomposable. L'auteur a figuré/chieé une donnée verbale (= l'inspiration) puisée inconsciemment dans sa langue maternelle (le français).
Comment expliquer ce passage du propos à tenir au dessin sans pas­ser explicitement par la langue (le mot « inspiration ») alors que ce vocable se présente in fine comme le fin mot de l'image ? Je tenterai de répondre plus loin à cette question.

Prenons un second exemple :

Illustration 4 : Le Livre-Star (Desclozeaux)

Il s'agit d'un dessin satirique de l'illustrateur français Desclozeaux qui moque le marketing littéraire. Une femme, en pied, de trois-quart mais le visage tourné vers « la caméra » (c'est une poseuse) semble vouloir rabaisser sa robe et ses jupons « volages » (à la fois « inconstants » et « coquins » ou encore « légers »). Curieusement, ces vêtements se pré­sentent comme s'il s'agissait d'un livre.
Cette image humoristique est intitulée Le Livre-Star. Elle est une pa­rodie de la célèbre scène du film de Billy Wilder Seven Years Itch (Sept ans de réflexion) dans laquelle Marylin Monroe, placée sur une bouche d'aéra­tion, s'esclaffe tout en tentant de plaquer sa robe qu'un vent fripon a sou­levée. La robe retroussée est, elle aussi, un topos de l'imagerie grivoise. Aussi n'est-il pas très étonnant de noter que le personnage, ambigu à sou­hait, prend un vif plaisir à se sentir soudainement impudique. C'est une forme hyperbolique de coquetterie.
Nous sommes dans le monde du sex appeal, mais la manière qu'a Desclozeaux de traiter son sujet est telle que nous sommes confrontés à une allégorie. En bref, ce n'est pas tant une femme ressemblant à un livre qui nous est montrée, qu'une femme-livre - il y a bien des femmes-fleurs -, c'est-à-dire la personnification d'un objet ; cette personnification dût-elle revenir à une féminisation, et l'objet-femme en question à une “marguerite effeuillée”. Quoi qu'il en soit, Desclozeaux incarne donc l'idée que le livre pour se vendre, le livre-star, n'hésite pas à se faire égrillard.
J'en arrive là où je voulais en venir. D'un certain point de vue, cette image participe de l'expression métaphorique les dessous de la littérature, à savoir les choses cachées (comme les dessous d'une femme) à demi dont les media, la rumeur ou la critique se font une joie de parler. Restons sur l'isotopie érotico-égrillarde. Il est question souvent de prostitution de la chose littéraire, ou parce qu'il s'agit d'être à la page (justement) le sexe doit être au programme. S'agirait-il de quelque prix littéraire (Fémina) dé­voyé? Ironie de l'histoire : le dernier livre de Catherine Millet vient de sortir…
L'image de Billy Wilder, reconfigurée par notre graphiste n'est pas qu'une parodie. Elle constitue aussi le pré-texte (le texte avant le texte) et le prétexte (la raison qui suscite quelque chose) dans lesquels Desclozeaux repère ce qui se prête à son propos : à savoir, d'une part, les pratiques discutables présidant au lancement de certains livres ; d'autre part, la fétichisation (au sens freudien du terme) des choses. En un mot : le désha­billage et le marketing (dont le teasing est un procédé connu). Ce qui, en condensant ces deux notions pourrait s'appeler... le strip-teasing. Nul doute que Desclozeaux soit à mille lieues de ce maniérisme analytique lorsqu'il fait son dessin. Et pourtant...

Troisième exemple.

Illustration 5 (Redessiné d'après Lionel Portier)

Revenons au journal Le Monde, avec ce dessin de Lionel Portier inti­tulé Tristesse. Ce dessin n'a aucun lien particulier avec la matière journalis­tique de la page ; il fonctionne ici comme une plage d'humour - son sujet fût-il morose - destinée à aérer la page.
En observant ce dessin, nous sommes un peu perplexes. Un objet, difficile à nommer, est entouré de cercles concentriques, pareils à ceux qui dénotent, sur les images, les ronds dans l'eau. Ce n'est pas le bouchon d'un pêcheur, quoique l'objet, incliné et à demi immergé, fasse penser à une sorte de flotteur. Le va-et-vient entre le titre (signifié) et le signifiant graphique énigmatique qui nous est proposé aiguise notre désir d'analyse et notre besoin de nommer mis en difficulté. Autrement dit, comment neutra­liser ce « bruit visuel » explicitement introduit par l'auteur ? Malgré tout, le demi-cercle noir ressemble à une pupille entourée de son iris. Quant à l'arc, il est la forme simplifiée d'une paupière. Serait-ce d'un oeil qu'il s'agit ? D'un oeil presque révulsé ? D'un oeil qui donnant de la gîte s'enfoncerait dans quelque mare ? Le titre, le fait que nous sachions que la tristesse se manifeste, entre autres, par la nature du regard, voire l'état des yeux, nous mènent à comprendre que cet oculus curieusement présenté signifie bien la tristesse. Mais est-ce là tout qui guide notre lecture ?
Une nouvelle fois, l'inconscient linguistique doit être interrogé, on veut dire la langue en tant que réservoir d'images verbales qui forme chez chacun d'entre nous (émetteur et/ou récepteur, graphiste et/ou lecteur) une mémoire. Par ailleurs, Freud, qui nous a expliqué sur quelle économie sym­bolique reposaient certains mots d'esprit, doit être mobilisé ici.
Il est question de tristesse et même de chagrin. Or, Portier nous mon­tre un oeil qui coule. Le mot « couler » veut dire deux choses en même temps : 1) qu'un objet destiné à flotter (un bateau) sombre corps et bien, 2) qu'un liquide s'échappe d'un objet donné : « avoir le nez qui coule », voire « l'oeil qui coule ».

Les choses se précisent.
Le dessin se donne à lire comme si Lionel Portier nous avait livré l'image d'un œil qui coule (= qui s'enfonce dans l'eau) en lieu et place d'un œil qui coule (= en train de verser des larmes), conforté inconsciemment par cette disposition mentale qui a présidé à la création de la formule syn­thétique : se noyer dans son propre chagrin (drowning in one sorrow). Ce qui, à la lettre, est en train de se passer. La mise en figure (la figuralisation) est si active qu'elle nous aveuglait littéralement. Comme l'écoute, le regard doit être flottant... si j'ose dire !
Nous tenons que ce dessin, intitulé Tristesse - véritable petit trésor d'humour - est une manifestation de la « pensée visuelle ». Cette pensée visuelle se repère dans nombre de trouvailles de ce type, dont l'économie repose sur le déplacement (de couler 1 à couler 2 ) et la condensation opérée par la fabrication du signifiant graphique. Le lecteur, lui, est con­fronté à une petite énigme dont la résolution se transforme évidemment en jubilation. Nous ne sommes pas loin de l'esprit du rébus. Plus précisément, c'est à « mi-mots », sans remonter explicitement à la métaphore verbale (= se noyer dans son chagrin) que nous comprenons ce dessin. Allons plus loin et risquons ceci : la liaison que nous opérons entre le titre Tristesse et la reconnaissance de cet œil qui s'enfonce dans l'eau nous suffit. Elle nous suffit, car cette liaison titre / dessin est une sorte de court-circuit dont la teneur est d'autant mieux éprouvée qu'elle est intuitivement perçue.
Nous avons commencé avec des exemples d'ombres projetées qui trahissaient leurs propriétaires. Je voudrais, pour terminer, revenir sur ce « lieu commun » de la rhétorique iconique. Je vous ai montré un premier dessin de Portier en voici un second, intitulé Solitude.

Illustration 6 : Solitude

(Redessiné d'après Lionel Portier)

Du point de vue de l'iconographie, ce dessin est à la fois nouveau et familier. On veut dire que, si Lionel Portier a effectivement innové en nous proposant cette image impossible et pourtant si “juste”, l'auteur s'inscrit dans le droit fil de la tradition évoquée plus haut. En particulier, celle des ombromanies à partir desquelles s'accomplissaient, pour rire, mille méta­morphoses (telle forme anodine, par exemple, se transformait en monstre). Toutefois, l'ombre n'est pas, ici, la forme “aggravée” du personnage, mais quelque chose comme son lieu-tenant. Ce passant ne fait que promener son noir reflet. À l'opposite de l'imagerie fantastique, l'ombre est étrangement passive. En bref, notre homme, qui a l'initiative, paraît main-tenir ferme­ment cette part nocturne que tentent de d'explorer les psychanalystes.
@Les choses, on le devine, ne sont pas si simples. Cette ombre, a-t-on dit, est passive. Mais, il y a passivité et passivité. Campé de la sorte, l'homme donne du corps à cet autre lui-même qu'il traîne comme un poids mort et qui l'aliène. Ce faisant, le promeneur nous signifie plusieurs choses en même temps :

1. Ne pouvant coïncider avec lui-même, l'homme est encombré de sa propre personne. Cette schizographie, qui nous vient de la grande névrose romantique, est une façon de dire qu'en mal d'unité, c'est-à-dire sans projet par lequel se ressaisir, ce passant est condamné à battre la campagne (la foule désœuvrée des dimanches après-midi est faite d'individus de cette sorte).
2. Chose plus importante, cette shizographie est, également, ce par quoi s'effectue littéralement la dévitalisation de notre personnage. On veut dire que, du corps blanc, censé le représenter positivement, à l'ombre qui accompagne le promeneur, un passage, ou plutôt une sorte de transvase­ment, s'est opéré. Comme si, vidé de sa substance, l'homme n'était plus que l'ombre de lui-même : une ombre blanche (notez l'oxymore), vampiri­sée par le double noir, comme gorgé, quant à lui, de la substance du prome­neur exsangue.

Débrayons quelques instants. La question théorique posée plus haut fait retour. A nous suivre dans notre lecture, on pourrait penser que tout ce discours n'a été produit que pour culminer dans la ré-invention de l'expres­sion qu'on vient de dire («n'être plus que l'ombre de soi-même»). S'agi­rait-il d'une expression « heureusement trouvée», «remontée» tout à coup à la conscience ? Si l'on ne peut nier le plaisir effectivement éprouvé à la venue, ou plutôt à la survenue, de cette formulation à ce point de notre analyse, l'on ne peut, non plus, laisser croire que nous avons interrogé cette image parce qu'elle nous intriguait. Nous avions le sentiment confus que quelque chose hantait le dessin de Lionel Portier.
Un exemple, ultime, nous aidera à nous faire mieux comprendre. Dans un texte critique dédié au peintre allemand Konrad Klapheck', André Breton cite Fulcanelli, l'auteur étrange des Demeures philosophales. Intéressé par les rébus, «dernier écho de la langue sacrée», Fulcanelli évoque cette an­cienne publicité pour la marque Singer.

Illustration 7 • Singer

« Elle représente », disait-il, «une femme assise travaillant à la ma­chine au centre d'une S majestueuse (sic) ; on y voit surtout l'initiale du fabricant ; quoique le rébus soit clair et de sens transparent ». Au rebours de Breton, nous ne pensons pas que le rébus soit clair pour tout le monde « et de sens transparent ». En revanche, nous sommes, pour notre part, enclin à voir dans cette publicité fameuse, une forme plastique si étonnam­ment prégnante que la question même de sa plénitude affleure à la cons­cience : cette plénitude du personnage qui se love dans le S, et lui confère son statut de femme (fût-elle au foyer), n'est-ce pas l'image d'Eve (et du Serpent), alliée à celle d'une maternité qui s'annonce ? C'est-à-dire de la «grosse S» (=grossesse) si justement “prégnante”. Comme si cette récla­mante image, citée par Fulcanelli et Breton, avant même d'être un rébus, constituait le chiffre, par excellence, de la féminité (charme envoûtant et maternité). Posons dès lors cette hypothèse : ce rébus publicitaire aurait ici cette vertu d'œuvrer, non pas comme une devinette signalée comme telle (rien ne nous prévient de nous régler sur un tel programme de lecture), mais comme un signifiant ouvert par où s'interdirait / s'entredirait ce que Lyotard appelle le figural. Quelque chose s'énonce, en effet (la grossesse), sans pourtant se dire clairement et qui se suspend énigmatiquement dans une sorte d'inaccomplissement propice à la rêverie. Le lecteur flotte entre le visuel et le phonétique, comme l'expression «être l'ombre de soi-même» se situe dans le silence loquace du dessin de Portier.

Revenons à ce dessin (Solitude).
Un dispositif de contamination sémantique est bel et bien en place. Bien que côte à côte, les figures, blanche et noire, forment une structure commutative. De sorte que, malgré la relation syntaxique nettement affi­chée (la poignée de mains), le clivage entre les deux entités homomorphes ressortirait au paradigmatique ; tant il est vrai que, de la valeur blanche à la valeur noire, se cinétiserait une sorte de virage chimique : jeu entre plein et vide, positivité et négativité, présentation et représentation, réel et virtuel. Dans un récent et bel article Les images racontent-elles ?2, Philippe Marion renchérit sur ce point, qui pose que l'image est toujours susceptible d'or­ganiser ses composantes de sorte que le spectateur soit amené à co-pro­duire l'idée d'une transformation temporelle nécessaire à toute mise en intrigue. Va-et-vient mental donc qui fait de l'expression être l'ombre de soi-même une formule décidément «surdéterminée».

Pour terminer (ceci est aussi un abstract) je dirai ceci :
Passer de certains dessins d'humour à leurs équivalents linguistiques est une démarche présupposant qu'une « traduction » est opérable. A tout le moins, qu'un pré-texte est à l'origine des dessins en question. Nous sommes partis d'une lecture de certaines images pour tenter de reconsti­tuer ce qui, chez le dessinateur avait bien pu se passer. Nous ne sommes pas familier de la pensée des cognitivistes - comme on a pu le comprendre - mais nous avons voulu progresser dans leur direction, à partir de nos propres schémas rhétoriques et en postulant qu'un « inconscient linguisti­que » informait la pensée visuelle des graphistes.

Notes

1 - Klapheck, Konrad, La Machine et Moi, Paris, L'Échoppe, 1997.
2 - Marion, Philippe, Les images racontent-elles ? Variations conclusives sur la narrativité iconiqueRecherches en Communications (Image et narration) n°8, 1997, Université de Louvain la Neuve.