REMAKE

(D'après) François Clouet, Le Bain de Diane, 1,36m x 1,97m, huile sur bois, fin XVIe siècle, musée de Tours.

« Actéon a-t-il vraiment cru la vierge prenable dans l'imprenable divinité ? » - Pierre Klossowski

Tandis que Diane-Artémis, en un lieu retiré, se baigne entourée de ses suivantes, le trop curieux Actéon surprend la déesse qui, l'ayant aspergé, le change en cerf. Réduit à n'être plus qu'une bête de proie, Actéon meurt, dévoré par une meute de chiens (1). Partant de ce pré-texte, François Clouet peint son tableau Diane au bain dont les historiens d'art nous apprennent qu'il est loin d'être une simple version peinte du mythe, et qu'il faut savoir y lire la transposition (d'esprit allé­gorique) d'une véritable galerie de portraits.     
Pour être appréciée à sa juste mesure, la Diane au bain de Tours (fin XVIe siècle) doit être rapprochée de La Diane au bain de Rouen (circa 1560) qui lui sert de modèle (2). Ce dernier tableau célébrerait le triomphe de Marie Stuart (deux fois représentée : en Artémis, au centre, en nymphe, à droite), flanquée de sa rivale, Diane de Poitiers, en position assise (3). Dans le lointain, à gauche, le cavalier ne serait autre que François II, son jeune mari, jouet des Guise. Près de quarante ans plus tard, La Diane de Tours « calquée » sur l'original de Clouet reprend donc celui-ci pour l'adapter au goût du jour : Gabrielle d'Estrées (4) vient s'inscrire en lieu et place de Marie Stuart, tandis que Henri de Navarre remplace l'obscur et fugitif François II.

 

Ce remake, fidèle à l'esprit de l'œuvre de référence, se pré­sente à nous, hommes du XXe siècle, comme si les « retouches » apportées à l'imago princeps avaient eu pour fonc­tion de conforter l'idée selon laquelle les « grands » partici­paient bien d'une commune surnature. Leur « air de famille » n'en témoigne-t-il pas ? Faisant commuter les traits de tel personnage avec tel autre, le pseudo-Clouet signifie en der­nière analyse que Marie Stuart (née en 1542), Catherine de Médicis (née en 1529) ou Gabrielle d'Estrées (née en 1573) sont les rejetons idéalement stéréotypés d'une humanité supé­rieure, sur qui le temps n'a pas d'emprise.     
Dans cet ultra-monde pastoral, nymphes et satyres assistent dieux et héros dans l'accomplissement de leurs destins. Mais, parce qu'il est ici reconfiguré selon les nécessités de cette « poésie muette » qu'on appelle la peinture, cet ultra-monde est, d'abord, celui de la pure synchronie. On veut dire que Diane et les créatures de sa suite n'existent que pour se figer en un moment absolu tout à la fois suspendu et superbement abouti. À preuve, ce corps bellifontain, aux proportions maniéristes, répété quatre fois en autant de poses diversifiées, et que Clouet a voulu situer à la croisée de deux axes diver­gents (modèle de la perspective flamande), menant respective­ment au portrait équestre du roi (= l'irruption d'Actéon) et à la scène de la curée (=son châtiment). Autrement dit, ce bou­quet de figures ivoirines que les faunes, « mal dégagés des mouvement du terrain » (5), font d'autant mieux ressortir coexiste avec les épisodes d'ouverture et de fermeture du mythe, ramenés, en l'occurrence, au niveau du décorum : médaillons de part et d'autre desquels Gabrielle éclate de splendeur. Au vrai, le raffinement est partout. Que penser, à ce propos, du lévrier blanc faisant contrepoint avec la mon­ture noire du cavalier ? L'esprit de la tapisserie du bas Moyen Âge est là, qui, comme chez Uccello, « informe » la composi­tion.     
Cet étrange gynécée en pleine nature, dont les gardes eunuques auraient été remplacés par des satyres folâtres, mais où, en revanche, l'intrusion de l'humanité mâle n'est posée que pour être cruellement réprimée, fait du Bain de Diane le plus troublant des tableaux. Dans ce décor idyllique — ver­sion picturale de celui de l'églogue (6) — règne Celle qui a fait profession de ne pas connaître l'Homme. Or, voici que, par la faute d'Actéon, la chaste Artémis est contrainte de « s'ouvrir à la honte d'offrir de dicibles appâts » (7). Clouet et le pseudo Clouet voudront néanmoins qu'à tant de trouble Diane oppose le masque de l'impassibilité qui, seul, sied à son rang. Il fallait donc que ce ne soit qu'au fond du paysage, c'est-à-dire à l'horizon mental de l'inatteignable déesse, que parais­sent les tenants et les aboutissants du drame. Sans doute est-ce la raison pour laquelle un manteau rouge a été posé (en bas à droite) par le peintre, dont un des plis « rime » avec le filet d'eau qui s'échappe de la fontaine : coulure de sang qui pro­longe jusqu'au premier plan la terrible (même si lointaine) scène de la curée.     
L'allégorie politique (8) qui se décline ici sous le voile du mythe redonne paradoxalement une partie de sa force à la Fable. Qu'il soit de Tours ou de Rouen, Le Bain de Diane nous enseigne qu'entre les rôles de Chasseur et de Proie la place l'Homme, dans l'éternel conflit des sexes, n'est pas toujours la plus enviable. Pierre Klossowski, à cet égard, parle de « cervi­tude »...

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1 - Ovide, Les Métamorphoses, livre III.     
2 - Cette huile est un « remake » du tableau de Rouen. Pour ce qui regarde ce dernier, outre Diane-Marie Stuart (au centre), la suivante de la Déesse-reine serait la duchesse de Guise, le satyre assis le duc de Guise (cardinal de Lorraine), le satyre debout François de Guise, époux de la suivante de Marie Stuart... Ce tableau consacrerait donc le triomphe du parti (catholique) des Guise. Cf. Marie Jeune, La Renaissance, 1987, coll. « Séquence », n° 1.     
3 - À moins qu'il ne s'agisse de Catherine de Médicis.     
4 - À la différence de Marie Stuart, la maîtresse d'Henri de Navarre a le regard tourné en direction du spectateur.     
5 - Marie Jeune, La Renaissance, op. cit.     
6 - Eglogues poèmes pastoraux tels qu'en écrivirent Virgile ou Ronsard.     
7 - Pierre Klossowski, Le Bain de Diane, Gallimard, 1980, p. 79.     
8 - La cohérence de l'allégorie s'estompe dans le tableau de Tours.