RÉFLEXION AMUSÉE SUR QUELQUES IMAGES DE JACOBS ET HERGÉ,
OU DE L'ANALYSE CONSIDÉRÉE COMME UN PLAISIR CONTAGIEUX

Ce titre, long comme celui d’un essai du XVIIIe siècle, est un programme relativement détaillé. Aussi, à contre-courant des règles académiques vous proposerai-je dans un premier temps de faire l’impasse sur la problématique qui m’anime. Quitte à la récupérer par la suite. Ouvrons, donc d’entrée sur une première analyse.

La banque BNP Paribas a lancé, à l’automne 2003, une campagne centrée sur la notoriété d’une bande dessinée culte : les aventures de Blake et Mortimer d’Edgar-Pierre Jacobs. Auteur, entre autres, du Mystère de la Grande pyramide, l’ancien collaborateur d’Hergé brille en effet plus que jamais au panthéon du 9e art européen. Mais, brille-t-il, précisément, parce que les héros du conteur passent leur temps dans des souterrains qu’ils éclairent de leurs lampes ou de leurs torches ? Poser la question, c’est évidemment y répondre : l’aura de Blake et Mortimer participe à n’en point douter de la « phosphorescence » qui perce la nuit de leurs équipées souterraines. Référence aux lectures de l’enfance.
Sur cette image, retraitée par la BNP, le professeur, armé d’un fanal explore un mastaba sur la paroi duquel, à côté de la tête d’un gigantesque Horus, le héros peut lire, dans un cartouche, « BNP PARIBAS ». Pastiche facétieux des publicitaires qui, assimilant le nom de la banque à quelque notation sacrée, ont fait du nom de l’établissement qu’ils vantent un vocable précieux entre tous. L’anachronisme, qui fait soudain de Mortimer l’« inventeur » d’une découverte pour le moins inattendue, ne manque pas de sel. D’où le point d’exclamation « émis » par l’anglais. “By love” aurait pu dire le professeur. Bravo PARIBAS. Mais honte aussi à Paribas iconoclaste.
Ce pastiche de la couverture du premier tome du Mystère de la Grande Pyramide (paru il y a 50 ans) a, pour l’iconologue que je voudrais être, des vertus heuristiques, mieux propitiatoires : qu’est-ce qui m’attire ici ?
Force est de constater que la manipulation de cette image mercenaire (ou Mortimer s’est retourné) a le mérite de me faire remonter à l’original, et de me permettre ainsi découvrir que cet original participe lui-même d’un autre trucage resté sous silence. Le mystère n’est pas seulement lié à l’errance du lieu visité par le héros, mais aussi dans l’étonnante épaisseur de cette image plate
Essayons d’éclairer — si j’ose dire — la lanterne du lecteur... Nous sommes dans quelque souterrain de l’Égypte pharaonique. Mortimer vient de déboucher, grâce à un tunnel creusé par des pilleurs de tombes, dans une chambre secrète. La bande dessinée d’aventures trouve ici à se dire de manière exemplaire dans la mesure où la narration figurative met volontiers en scène des héros passe-murailles.
Mener quête et enquête revient souvent pour personnages de l’École de Bruxelles à se déplacer dans un milieu opaque, où le cheminement de case en case se naturalise en franchissements divers. En bref, chez Jacobs, Hergé et consorts, le récit, volontiers d’essence cryptique, est affaire d’exploration, partant de creusement, de corridors et autres labyrinthes.
Dans cette nécropole, Mortimer cherche ses marques. Son visage est crispé, voire subjugué. Vigilant (on le serait à moins), il paraît observer le dieu à tête de faucon, surdimensionné, au pied duquel il vient d’arriver... Mais quelque chose est là qui « cloche ». À bien y regarder, le dessin de Jacobs, impressionnant à souhait, se prête à une lecture que récuse la structure même de l’image ! Horus a bien été représenté, peint à fresque, sur le mur de la chambre mortuaire ; or, Mortimer ne peut, en principe, voir la divinité puisque celle-ci fait partie du plan que le héros vient de dépasser. Horus ne peut être à la fois devant et derrière Mortimer. Il se trouve que la différence d’échelle entre les deux figures nous a induits en erreur : gigantesque, le dieu égyptien, s’est au premier coup d’œil imposé, menaçant de sa stature le pauvre explorateur, dont le corps à peine sorti du tunnel ne s’est pas — qui plus est — encore redressé. Haute en couleurs, la fresque a neutralisé notre capacité à bien discriminer les plans de l’image. Il est vrai qu’ayant campé l’Anglais de trois-quarts, Jacobs s’est donné toute latitude pour jouer sur les deux tableaux. 2D/3D.
Le bon sens, qui reprend vite ses droits, me conduit à une réévaluation de la situation. Au vrai, Mortimer considère tout simplement ce qui lui fait face, dont le caractère anxiogène (les chauve-souris, le cobra, le mur violet en amorce, etc.) lui arrache une grimace. Mais, force est de revenir à mon impression première. Ce dessin de la jaquette du Mystère de la Grande Pyramide constitue un dispositif rhétorique dont la force de séduction commande qu’on aille y voir de plus près. Ainsi, l’analyse me mène-t-elle à échafauder l’hypothèse suivante : deux lectures se superposent ici : la première (irrecevable) voudrait qu’Horus « attende » Mortimer pour lui fixer son sort ; la seconde (vraisemblable) revient à voir plus simplement l’arrivée intempestive d’un personnage donné dans quelque lieu retiré. Situation classique. Cette seconde lecture, à savoir la compréhension du fait qu’en débouchant dans la crypte, Mortimer ne peut pas voir Horus (puisque celui-ci se trouve sur le mur qu’il vient de dépasser), cette seconde lecture n’est en fait qu’une lecture-alibi (pour parler comme Roland Barthes). Autrement dit, une lecture sous le couvert de laquelle la première lecture (l’irrecevable) impose sa force : impossible de tenir pour négligeable ce dieu Horus dont le hiératisme, hors proportions, interfère sur l’assiette chancelante du héros. Il faut bien en rabattre, la seconde lecture (la recevable) dictée par le bon sens ne résiste pas à l’impression première : Horus tient Mortimer en respect.
Risquons une autre hypothèse de lecture : la couverture dessinée par Edgar Jacobs me trouble parce qu’elle me rappelle certains rêves ou autres images oniriques rencontrées ça et là au hasard de mes lectures, où le principe de réalité, miné de l’intérieur, débouche sur le classique mais irrépressible sentiment de « l’inquiétante étrangeté ». Cette inquiétante étrangeté repose ici sur le vieux fonds de peurs ancestrales qui veut que la frontière entre image (la représentation en 2D du dieu Horus) et réalité (le monde, supposément en 3D, de Mortimer) ne soit pas étanche. On sait, encore, que les statues (Horus, dans sa « confrontation » avec le héros, semble se détacher du mur), que les statues sont d’autant plus menaçantes qu’elles sont comme figées, c’est-à-dire à deux doigts de bouger. Tout un monde fantastique est là qui ne demande qu’à bousculer le confort des certitudes. Abondons dans cette veine : la peur ne vient-elle pas justement de ceci qui veut que les choses se trament derrière nous. Inconscient de la malédiction qui pèse sur les non-initiés, Mortimer s’est sans doute trop avancé, ignorant de ce qui se passe dans son dos, là où ça « remord ».
Résumons. L’Anglais découvre dans le halo de sa lampe Horus qu’en principe il ne peut voir... Mais c’est trop raisonner, ou plutôt c’est entrer dans le piège sémiotique qu’intuitivement Jacobs m’a tendu. En faisant l’effort d’accommoder sur la matérialité même du dessin, je saisis, alors, que Mortimer et Horus sont représentés sur le même plan — celui de la représentation — ; bref, qu’ils sont de plain-pied dans ce même monde en 2D, et que, dès lors en vis-à-vis, ils sont en conflit. Comme dans les songes, qui n’ont cure du principe de non-contradiction, Horus, « immobile à grands pas » côtoie le héros, en principe vivant, mais qui s’est figé devant la vision qui le stupéfie. Au dessus de l’Anglais, son ombre, expressionniste à souhait, aggrave son geste suspendu. L’inanimé et l’animé échangent leurs rôles.

Retour à la BNP.
Comme on pouvait s’y attendre, les publicitaires ont opté pour le seul scénario vraisemblable. Cohérents avec eux-mêmes, ils ne pouvaient que dessiner Mortimer tourné vers la paroi, stupéfait de regarder sur le mur du fond ce qui s’y détache : Horus au bec crochu et la mention « hiéroglyphique » de Paribas. Pour être efficace, publicitairement parlant, le dessin de Jacobs devait être revu et corrigé. Mais exeunt le fantastique et sa poésie ; ne restent que les signes humoristiques d’un mystère de pacotille.

Glosons maintenant.
On ne cherche pas tant à trouver qu’à retrouver. En fait, quand trouvaille il y a, c’est bien souvent de « déjà-là » qu’il s’agit, voire d’« ancien » dont la fraîcheur peut étonner. Autrement dit, c’est du plaisir de coïncider avec de l’inattendu, soudain réinstallé sur les rails de l’actuel, que je voudrais parler. La métaphore de l’exhumation archéologique, si elle ne doit pas nous égarer, n’est pas qu’une facilité de langage. À cet égard, l’Égypte nous comble car nous croyons aux vertus de l’emblématique. Nous croyons en particulier, à cette idée que l’intelligence des choses se débusque parfois dans l’économie de leurs formes. De ces formes dont la surface lisse mérite justement qu’on aille la scruter. Autre pétition de principe : je crois pareillement à cette autre idée selon laquelle le plaisir de l’analyse est lié au cryptique, pour ne pas dire à l’initiatique. Non pas à la gnose (à laquelle je n’entends rien), mais à la mise à jour de correspondances poéticiennes. En égrenant ses cases, la BD, lorsque cela s’y prête, a tôt fait de mettre un peu de cette pensée visuelle dans les mécanismes de sa récitation. C’est cela qui m’importe, qui nous importe..
Assumons cette lapalissade : analyser, c’est d’abord se mettre en situation d’analyse ; ou, si l’on préfère, aviver en soi la vigilance. S’il faut en passer, à un moment ou un autre, par le savoir, il convient de saisir que la « vigilance » qu’on a dite concerne ce « qui crève les yeux », qu’une sorte d’état second, ou « attention flottante », permet de repérer, ou — mieux — de « repairer ». En somme, c’est dans leur cachette que les choses se mettent à briller et il n’est sans doute pas de meilleures « illustrations » que les images où l’on peut mettre du lustre justement sur ce qui prétendait rester discret. Pour le dire autrement, le décor est un décorum qui ne dit pas toujours son nom. Entrer dans cette connivence de l’œuvre est chose gratifiante.
Certaines images intriguent, dont la mutité, paradoxalement, fait signe. À moins, au contraire, que le bavardage des images, par trop démonstratives ou redondantes, ne soit une manière d’endormir notre attention. Poursuivant dans le droit fil de mon paradoxe, je tiens qu’il est des cas où la discrétion d’un détail, ou son caractère anodin, voire décoratif, travaille secrètement à révéler la valeur d’un dessin ou d’une peinture. Daniel Arasse, sur ce point, ne m’aurait pas contredit.
L’inertie et la platitude des cases de BD sont pour moi le gage de leur possible profondeur. Je veux dire que, parce qu’elle est fixe et sans épaisseur, l’image porte en soi les limites nécessaires au dépassement de cette fixité ou de cette platitude.

Abordons un second exemple.
À la suite de quoi on tentera de terminer la glose entamée.
Après Jacobs, Hergé, après l’Égypte et ses mastabas, l’Europe et ses magasins d’antiquités. Point commun : l’esprit de cette bande dessinée qui porte désormais le nom de « Ligne Claire ».
Nous sommes dans le bric-à-brac de la crypte du château de Moulinsart (ou l’Égypte d’ailleurs n’est pas absente). Les frères Loiseau cherchent Tintin pour l’éliminer. Ils sont passés devant le héros sans le voir. Les voilà qui s’éloignent.
Pourquoi Hergé a-t-il dessiné dans le « fond » du dessin, juste devant le personnage en bleu, une minuscule statue blanche dont on a l’impression qu’elle court en direction d’un vase ?
Pour oiseuse qu’elle puisse paraître, cette question renvoie au disegno — au dessein — de l’auteur. Autrement dit, en meublant ses cases, Hergé contrôle t-il la valeur symbolique de chacun des détails convoqués dans ses vignettes ? Non sans doute et cela m’intrigue. Plus précisément, lorsqu’il s’agit d’objets mobiliers dont la présence, loin d’être documentaire, ressortit au remplissage des cases, est-on fondé à voir dans tel ou tel particolare quelque indication subliminale, c’est-à-dire un objet placé pour être vu, mais non regardé ?
Au contraire des bric-à-brac de Moulinsart « STET » ou de la soupente de L’Oreille cassée, qui sont entassement faussement compliqués, la réserve des frères Loiseau, quant à elle, recèle des petits trésors visuels, pareils à celui qu’on croit pouvoir isoler ici.
Cette statuette qui « court » sur un meuble, et sur laquelle Tintin ne peut accommoder puisqu’il est censé observer ses ennemis, est, à nos yeux, un motif bien étrange. « Installée » là par l’auteur, cette statuette fait signe sans avoir de signification apparente. Comme si cette figurine était destinée à nous « mettre la puce à l’œil »... Mais, cessons de tergiverser : ce petit bonhomme qui court, n’est-ce pas le double du héros, se jouant des bandits qui en veulent à sa peau, un Tintin, qui, cependant, courrait à sa perte ? Un Tintin qui se précipite en effet vers un vase pareil à celui qui, renversé quelques cases plus loin, relancera les hostilités ? « STET »
Dans ce même épisode, un autre vase attire l’œil de l’analyste « STET » : un vase grec, sur les flancs duquel sont représentés deux hoplites attaqués par un personnage tiers. Cette scène, les frères Loiseau ne peuvent pas la voir. S’agit-il d’un artefact chiffré ? D’un signe au lecteur ? Ces figurines, qui reprennent, en l’inversant, le lien polémique existant entre Tintin et les frères Loiseau sont elles à mettre au compte du vouloir d’Hergé, amusé à l’idée de disposer des indices ? Ça n’est pas l’air curieusement énigmatique du masque égyptien derrière les malfrats qui nous mènera à penser le contraire ! Notre hypothèse — on l’a compris — est bien celle-ci, qui veut qu’Hergé, sans penser explicitement à semer ces « petits cailloux blancs » y pense quand même : sinon intellectuellement, du moins visuellement, intuitivement. Apporterai-je de quoi consolider ma lecture en rappelant que deux planches auparavant (p. 41 case 5) Tintin, qui vient de percer le mur de la crypte, débouche sur une longue travée encombrée de masques, d’armures et autres images, et qu’au bout de ce couloir une grande statue blanche nous hèle pour nous indiquer la marche à suivre ?
Rappelons pour faire bonne mesure que le héros accompagné de Haddock reviendra en ces lieux de sémiogénèse conjecturale (Trésor de Rackham Le Rouge p. 60, case 2) pour découvrir enfin le trésor. Par ici messieurs.
Essayons de rassembler nos idées et reprenons pour terminer le cours de notre glose.
Si elle résulte d’un travail considérable, harassant même (tous les témoignages concordent), la BD est évidemment, pour l’auteur, une épuisante tache passionnément cultivée. Le lecteur — s’il est un véritable amateur — n’a gardé, lui, que la délectation, idéalement visée par le cartoonist.
Au vrai, le plaisir de la lecture est — chose connue depuis les travaux de Todorov — un plaisir de la relecture. Or, cette relecture, qui met en vacance le récit pour s’attacher aux cases et à leur étonnant matériel graphique, est une microscopie inquiète et vétilleuse qui traque ce qui, ici et là, est capable de reconduire le plaisir perdu de la première lecture-découverte. Nous avons commencé par tout d’un regard curieux, mais distrait, or voici que les choses, se renversant se sont mises à nous regarder. Alors, nous fouillons, saussuriens en herbe, les images, obnubilés que nous sommes par la recherche des marques anagrammatiques d’une incertaine cryptographie.
Micro-triomphe sans doute, mais triomphe quand même, lorsque l’éternelle crainte de délirer marque un temps d’arrêt et que ça fait sens. Je pourrais multiplier par dizaines les exemples. Quelque chose comme ce qu’on pourrait appeler la pensée visuelle de l’auteur — ce que je nommerai sa « scénariographie » — nous met en situation d’analyse pour notre plus grand amusement. Plaisir de la lecture, plaisir de la relecture, plaisir de la glose. Du subliminal distillé lors de l’énonciation (Hergé à sa table) au subliminal instillé à la réception (le lecteur intrigué) un certain sujet de l’énonciation s’est mis à transiter. La profondeur des images plates, chez Hergé, se vérifie partout. Capable d’imprimer au dessin de ses cases cette « scénariographie » truffée de bonheurs d’expression, apte à faire en sorte que l’emblématique chez lui se réverbère dans la trame narrative, l’auteur nous charme.

Supplément à la conférence
Je tiens ici si vous le désirez, un dernier exemple de ce que nous cherchons ici à mettre à jour. Il s’agit d’une image ou Hergé traite de la question des liens entre idiotie symétrie et répétition (ce qui, soit dit en passant, touche à la question complexe du rapport texte/image et, d’une façon plus générale encore, à la question de l’image à l’ère de la reproductiblité).

Le trésor de Rackham Le Rouge, p 39, case 9
Les Dupont, ces marins d’eau douce (au deuxième plan), qui ont eu l’idée baroque de s’affubler d’une tenue de mousse (avec col, caban et béret), sont réquisitionnés par Haddock, qui les astreint à la corvée de pompage (envoyer de l’air à un scaphandrier). L’accomplissement de cet exercice, repris sept fois par le dessinateur (chez qui le comique de répétition est une seconde nature), donne lieu à un impayable jeu de mots.
Les deux flics, forcés d’obtempérer, n’ont d’autre commentaire à fournir que d’user de l’impératif à la première personne du pluriel du verbe « pomper » : pompons. La drôlerie est immédiate, faite de la rencontre de cet impératif un peu stupide (pon-pon) et de son homonyme désignant l’accessoire de leur coiffure : les pompons. Il fallait le faire, comme on dit communément, ce qui signifie en outre qu’un comble, en la matière a été atteint. En termes relevés, on déclarerait que les Dupondt, encore une fois, ont remporté la palme ; mais la situation est telle qu’on dira qu’ils ont seulement décroché le pompon dont ils se sont parés.
Il est toujours un peu laborieux de décrire un effet de lecture, construit sur un court-circuit sémantique. Le risque d’être amphigourique est là, qui risque de se retourner contre l’analyste qui aurait bien voulu se hisser à la hauteur de l’objet qu’il décrit. À cela s’ajoute que, d’une manière générale, les rapports texte/image, lorsqu’ils relèvent du jeu précisément, sont par nature complexes puisqu’il s’est agi pour l’auteur de raccorder des niveaux d’acception a priori incongrus.
Ce type de trouvaille est rare chez Hergé, dont le registre est plus visuel que linguistique, exception faite de contrepèteries et autres calembours qui, pour irrésistibles qu’ils soient relèvent de la rhétorique la plus classique. Avec notre exemple, nous sommes sans doute proche de ce qu’on appela longtemps « l’art de la pointe » (ou art de la répartie), autrement dit cette capacité d’introduire dans le discours d’autrui un élément impromptu capable, soudain, de le déstabiliser. Certes, Hergé ne renvoie la balle à personne, si ce n’est à lui-même ou, plutôt, c’est le dessin qui se « venge » ici du texte, comme pris au piège de la littéralité. En prononçant le mot « pompons », les Dupondt (qui font écho au propos de Haddock : « pompez »), précipitent l’ordre du récit dans le pataquès : ironiquement, les pompons rouges des deux Dupondt viennent mordre sur l’espace du phylactère où le vocable, qui exprime leur plate soumission, brille d’un éclat inattendu.