SCÉNARIOGRAPHIE

Parler d’un genre (a fortiori d’une œuvre) sans parler du médium revient à laisser croire que ce dernier (ou cette dernière) est transposable sans déperdition, sym­bolique ou fantasmatique. Selon Pierre Fresnault-Deruelle, ce n’est évidemment qu’une vue de l’esprit. II entend ici en donner une nouvelle fois la preuve via un parcours sur les transformations de la bande dessinée de 1950 à nos jours. L’exploration des mutations rituelles, poétiques et littéraires de ce « neuvième art » à travers le changement de régime communicationnel de la « scénariogra­phie » en témoigne.

Mots clés scénariographie, transforma­tion, support, comics, Peanuts, graphie nove !

LES PEANUTS SONT INTRANSPOSABLES
Il y a quelques années, nous avons forgé le néologisme « scénariographie (1) » — en espérant qu’il nomme un concept valide. Ce mot-valise, qui contient trois unités lexicales : scène, scénario et scénographie, voudrait rendre compte de l’écriture propre à la bande dessinée. Cette écriture est, en effet, à la fois dépendante du thème abordé, de l’espace censé incarner ledit thème, ainsi que de la matérialité du support, sans parler de la distribution des cases en un certain ordre assemblées : tous éléments combinés dont l’effet produit est, par définition, intransposable. Prenons l’exemple canonique des Peanuts de Charles Schulz. Cette bande dessinée élaborée pour paraître, jour après jour, dans les quoti­diens américains des années 1950-1980, et qui n’exigeait pour se développer qu’une étroite bande de papier journal, tira immédiatement bénéfice de la « pauvreté » de ses moyens (au même titre que BC de Brant Parker ou Andy Capp de Reg Smythe). Partie prenante de la comic section du journal où ils venaient s’intégrer au côté d’autres séries (humoristiques, policières, sentimentales, etc.), Les Peanuts et leur « modestie typographique » eurent vite la réputation de faire contrepoint avec la matière événementielle qui, à côté, étalait ses colonnes. Il y avait, de fait, du « légendaire » (legenda signifie « ce qui doit être lu ») chez Schulz, au sens où ce strip « documentait » (on pourrait dire aussi « instrui­sait ») discrètement, et par différence, le message global, à savoir l’actualité du jour. Cadrée au ras des pâquerettes, la vie enfantine, tantôt idiosynchrasique, tantôt universalisante, égrenait en quatre panels la leçon, douce-amère, de leur auteur, le pasteur Schulz. Les petits riens de Charlie Brown et de Lucy avaient donc la dimension mythique, fugitivement éclairante des fables où se reflètent plaisamment les ridicules et les apories de l’existence. Une morale, en somme, se présentait là, subliminale, qu’il fallait tirer en regard du grand tout de la chronique. Pour que la magie rituelle des gags de Schulz fonctionnât, fallait-il encore que ses codes fussent scrupuleusement respectés : à la minceur du strip devait correspondre celle, décalée (c’est-à-dire, aussi, métaphorique), du propos tenu, propos qui ne devait retenir le lecteur que deux à trois secondes. Passé ce délai, en effet, le charme de la « distraction » n’opérait plus, autrement dit cette sorte d’« inattention attentive » que nous prêtons à cela précisément qui, donné à la marge, nous concerne plus qu’il n’y paraît. Constants, les Peanuts ne laissaient pas de jouer leur mini-partition.
On comprend dès lors pourquoi, regroupés en France, dans des albums aux couvertures cartonnées, et destinés aux seuls jeunes lecteurs, les Peanuts n’eurent pas le succès escompté : la figuration narrative se faisant trop abondante (augmentation du format et du nombre des vignettes), nombre des subtilités infraverbales qu’autorisait la brièveté des strips disparurent. Bref, défalcation faite du peu d’intérêt que les dessins de Schulz pouvaient encore susciter chez les têtes blondes du Vieux Continent, les ratiocinations de Charlie Brown, les réflexions philosophiques de son chien Snoopy ou les monologues acerbes de Lucy perdaient décidément de leur sel. Pour le dire autrement, la légèreté des Peanuts se faisait soudain pesante. Les adaptateurs français de la série n’avaient aucune idée de ce que pouvait être la vertu d’un certain minimalisme et de ses ressources stylistiques (2). Comble du contresens, la bande dessinée de Schulz fut coloriée ; ce qui revenait à dire, eu égard au fait que les héros étaient des enfants, qu’on confondait récréation et re-création, infantilisme et esprit d’enfance, pour ne pas dire complaisante concession et amélioration. Réorganisées par Gallimard puis Dargaud (dans les années 1980), les séries de Schulz instaurèrent stupidement de la continuité là où il aurait fallu trouver son contraire : des conclusions avortées, des annulations ou des remises à zéro. À ces héros de la névrose et de la rumination que sont les Peanuts convenait, seulement, une énonciation éditoriale courte, régulière et homéopathique, non consommable, croyait-on, sous nos climats. Reformatées en pages pleines, les minces et allusives « tranches de vie » de Schulz n’avaient tout simplement plus lieu d’être.

LA PRISE EN CONSIDÉRATION DU SUPPORT
En 2005, dans un texte joyeusement dévastateur, Plates-bandes, Jean-Christophe Menu (3) fait le procès des grandes maisons d’édition de bandes dessinées. Il fustige notamment le modèle imposé aux auteurs (et au public) : le 48 pages cartonné couleurs, nommé par notre pamphlétaire « 48CC s. Ce carcan, encore dominant, ne parvint cependant pas à empêcher l’arrivée de nouvelles écritures (dont le graphic novel) signalées par des formats inédits et un nouveau type de couvertures souples. Voient alors le jour, notamment, chez les éditeurs alternatifs (dont L’Association est le représentant majeur) des bandes dessinées inattendues où s’illustrent avec éclat des artistes tels qu’Art Spiegelman (Maus), Marjane Satrapi (Persépolis), Jirô Taniguchi (Quartier lointain), Joann Sfar (Pascin), etc.
Quant à la prise en considération du support d’inscription et des choix éditoriaux qu’il autorise, cinq auteurs seront ici abordés : Winsor McCay, Marc-Antoine Mathieu, Chris Ware, Emmanuel Guibert et François Ayroles.

Linéaire/tabulaire
Au début du XXe siècle, Winsor McCay fut le premier à saisir ce que les sunday pages en quadrichromie pouvaient offrir en la matière. Les « performances » linéaires et tabulaires grâce auxquelles le cartoonist émerveille toujours ses lecteurs (même si ces derniers sont maintenant des esthètes, en rien comparables aux amateurs d’antan) eurent comme conséquence de permettre au médium lui-même de prendre la mesure de ses propres possibilités. Après les incomparables facéties du Genevois Tôpffer, et bien avant les fantaisies quasi dadaïstes de George Herriman (Krazy Kat), les féeries de Little Nemo in Slumberland constituèrent pour le lecteur des spectacles proprement inouïs. Prenons l’exemple de la planche du 22 octobre 1905 (4). Quatre strips se partagent l’espace de la page, mais les deux dernières bandes sont distribuées selon un schéma scalaire « décadent ». Le lit du héros s’est enfoncé dans un sous-sol qui n’est autre qu’une grotte peuplée de champignons à pousse rapide. Ces derniers ont la particularité de gagner en hauteur chaque fois que Nemo change d’habitacle. Constituant une forêt aux troncs démesurés, les champignons finissent par se briser sous leur propre poids. Et le quatrième strip de se présenter à la façon d’un goulot d’étranglement où se manifeste évidemment l’angoisse. Dans la dernière case, réduite comme peau de chagrin, Nemo s’est réveillé hors d’haleine (ça n’était qu’un rêve). Bande dessinée oubapienne (5) avant l’heure, le récit de McCay, s’il est à chaque livraison la figuration d’une mésaventure, est avant toute chose la mise en œuvre d’un programme lourd de contraintes à respecter. Pour la planche qui nous intéresse, les contraintes veulent que la progression graduée du modèle narratif horizontal (le strip) soit contaminée par le découpage vertical (proche de celui des kakémonos). De ceci résulte que l’effet d’étroitesse induit est à son maximum d’efficacité symbolique : ad augusta (vers la félicité =-- le fait de rejoindre la Princesse) per angusta (par des voies étroites). Règne l’asphyxie. Poète et poéticien, McCay nous fait la démonstration selon laquelle l’activation d’un système spatial mathématisé (ici le réglage constant des abscisses et des ordonnées), ou, si l’on préfère, une « coordination » au sens fort du terme, peut se faire la machine la plus « catastrophique » qui soit.

Abscisses et ordonnées
Il en va donc de la « coordination » au sens mathématique du terme. Restons-y. Mais, pour ce faire, transportons-nous, cette fois, chez notre contemporain Marc-Antoine Mathieu, l’auteur des Sous-sols du Révolu (6). Cet album est consacré à une visite inattendue du Louvre, ou plutôt de ses caves auxquelles l’auteur a donné d’extraordinaires extensions.
Le format retenu par l’artiste n’a pas (sauf erreur) d’équivalent : il est carré, comme sont carrées la cour du monument en question ou bien encore la base de la pyramide de Ieoh Ming Pei chapeautant son entrée. Faut-il voir dans le format particulier de l’album un rappel de ces données, partant que la couverture (et son dessin) est à elle seule le packaging de l’album ? Au magasin du musée, Les Sous-sols du Révolu est un objet de prestige... L’album se présente par ailleurs comme un recueil de plans d’architecture, avec ses sous-parties, à ceci près que les personnages, au lieu de donner l’échelle de représentation, interfèrent comme autant de « bruits visuels » destinés à troubler la belle ordonnance des lieux traversés. Les planches carrées de Marc-Antoine Matthieu, uniques en leur genre, sont des coupes, des sortes de zones d’exploration où les personnages sont autant archéologues-fouineurs que fouilleurs « cadastreurs ».
Ainsi le chapitre intitulé « Les Archives » (cinq mille huit cent neuvième jour) nous dévoile-t-il un monde où règnent les protocoles de la rationalité la plus insensée. Les planches des pages 38 et 39, qui matérialisent un gigantesque placard, sont divisées chacune en trois cases en hauteur, entièrement tapissées de casiers métalliques, distribués en diverses sections (legs, dons, donations, dations, mécénats, etc.), le long desquelles évoluent, dans le plus improbable des équipages, les héros, juchés sur une échelle à roulettes, elle-même guidée par des rails. Impavides et niais, les personnages traversent cet espace gouverné par une machinerie qui n’est pas sans lien avec l’équerre, assistée par un bras mobile, dont sont munies les tables des dessinateurs industriels. Nous parlions, à propos de Little Nemo, d’un jeu d’abscisses et d’ordonnées régulant l’économie narrative d’un épisode célèbre. Le dispositif de Mathieu, qui rappelle les découpages-montages de l’Américain, s’en sépare pourtant dans la mesure où le déplacement des protagonistes reste leur prérogative (alors que, chez McCay, les héros, passifs, assistent aux métamorphoses du décor).


 

Le format carré des planches, où l’invariabilité des cases est couplée à la variabilité des cadrages, atteint à l’idéale systématicité des diagrammes. Il va de soi que ces deux pages forment un ensemble clos qu’aucun ajout, sauf à perdre de vue l’algorithme instauré, ne saurait prolonger. Au bas de l’échelle, le conservateur (c’est lui qui impulse le mouvement à la machine mobile) a d’ailleurs cette phrase : « je vous épargnerai la visite des coulisses du service de l’inventaire : c’est encore plus ennuyeux ». Admirable remarque qui évoque à la fois la coulisse (au sens théâtral) et le coulissage (au sens du trombone), sans parler de la monotonie (l’ennui) de ce service réservé au classement et dont le parcours (rendu d’hilarante façon) nous parle, à mi-mots, de la bande dessinée même : celle-ci n’est-elle pas l’art de faire évoluer fixement des figures sur fond de décors compartimentés ?

LE SABOTAGE DE LA LISIBILITÉ
De l’autre côté de l’histoire de la bande dessinée, McCay possède en quelque manière son double postmoderne : Chris Ware, l’auteur de Jimmy Corrigan et de Quimby Mouse. - Édité en français sous la forme d’un luxueux album de plus amples dimensions que celles des albums standards, Quimby (7) est un laboratoire d’idées narrativo-graphiques hors pair. Jamais, sans doute, on ne vit pareille inventivité dans le déroulé des séquences, ou, à l’opposite, pareille intelligence dans la répétition de quasi-frises. Plus folle que chez Fred ou plus aboutie que chez Guido Crepax — qui pourtant s’y connaissent en matière auto-réflexive — la méta-fiction atteint, chez notre auteur, à une forme d’acmé où la volonté de retomber sur ses pieds au dernier moment l’emporte, malgré tout, sur l’apparent sabotage des normes de lisibilité. Le génie paranoïde de Ware, qui instaure, pour les dépasser, les barrières de son enfermement, nous vaut des planches tantôt labyrinthiques (construites en outre sur des arrière-fonds improbables), tantôt d’une telle simplicité que nous nous demandons ce que cela cache. Il semblerait que les pages, savamment orthonormées, de Quimby ne sont données qu’à seule fin de rire de l’obsession du « casement » de l’auteur, lui-même lié à un sens aigu du « rapiéçage » (ainsi qu’à l’horreur du vide). De fait, feuilleter l’album, c’est vite remarquer que ces planches (faites d’énumérations, variations, déplacements, échantillonnages, répétitions, etc.) participent aussi bien du rangement compulsif que du plus maniaque des collages.
Le lecteur comprend peu à peu que l’édification des planches de Ware est à la mesure de la force centrifuge qui, sous la grille des pages, travaille à contrer le containment, jouissif et douloureux, auquel l’artiste s’astreint. Il arrive, enfin, que les personnages soient à deux doigts de se fondre dans le fourmillement qui menace (ce sera chose faite avec l’animalcule Sparky). Sans doute est-ce la raison pour laquelle la signalétique (numérotation, fléchage) est chargée, quand c’est nécessaire, d’assurer la liaison entre les tenants et les aboutissants, parfois flottants, du récit. In fine, on doit admettre qu’il ne s’est pratiquement rien passé, la mécanique narrative ayant à peu près totalement absorbé la part qu’on aurait pu croire dévolue à la fable : à cet égard, Ware est fils de Crumb.

L’ÉCONOMIE DU TRAIT
Mais, sans doute est-il temps de se recentrer sur la matérialité du support stricto sensu : Deux œuvres, à ce sujet, retiendront notre attention ; d’une part, Les Parleurs (suivi par Les Penseurs) de François Ayroles, d’autre part, La Guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert.
Les Parleurs (2003) et Les Penseurs (2005) sont de minces plaquettes (16,5 cm x 24,5 cm). Ces fascicules regroupent des saynètes distribuées sur deux pages où, sans que le dessinateur ait jamais l’air d’y toucher, se déroulent les bavardages déceptifs d’hommes et de femmes livrés aux échanges les plus basiques. Particularité : Ayroles, qui fait usage du ballon, expulse de ces derniers tout signe verbal au seul profit d’idéogrammes monosémiques, voire de simples plages vides, que nous lisons comme les linéaments d’une sous-conversation.


 

La ligne cursive de François Ayroles est celle d’un « annoteur » qui, noircissant le moins de papier possible (la surcharge n’est pas son fort), ne s’étend ni ne se disperse, même s’il colonise la totalité de ses planches. Au vrai, bien que construites le plus classiquement du monde, les sages pages d’Ayroles atteignent vite à la perversion du code spatial de lecture (gauche/droite, haut/bas). Si les planches de l’auteur conduisent immanquablement à ce qu’on nomme des « chutes » (ici des sortes de combles insanes), ces dernières sont d’autant plus remarquables qu’elles procèdent par feuilletage (un strip = une couche), dont la substance, pour modeste qu’elle soit, est montrée comme une somme où le compte l’emporte sur le conte (le verbe latin computare a donné « conter » et « compter »). Quoi qu’il en soit, Les Parleurs et Les Penseurs de François Ayroles sont des livrets, maigres et autonomes, dont on se prend à penser qu’ils sont les sections d’un panorama psychosocial en construction (pourraient venir s’ajouter « les spectateurs », « les frimeurs », « les consommateurs», etc.). La figure de la répétition qui, chez Schulz, peut baliser la progression de la pensée chez tel ou tel personnage, se retrouve chez Ayroles (mais aussi chez Régis Franc ou chez Lewis Trondheim) dans la mesure où l’itération — d’essence décorative — pèse plus lourd que les micro-événements censés en altérer la constance. Fidèles au gabarit de la simple ou de la double planche, les « parleurs » ou les « penseurs » ont le temps d’acquérir au fil de la lecture (si courte soit-elle) le statut de ces stéréotypes « agis », dont l’auteur nous fait craindre de les voir se multiplier. Sur un format plus généreux — il faut de la place pour s’étaler — Les Frustrés de Bretécher sont pétris de la même farine.

LES DEUX VERSIONS D’ALAN
Contrairement aux livraisons publiées sous un format identique, La Guerre d’Alan est imprimée sur un beau papier crème se mariant fort bien avec la sanguine foncée du texte et du dessin. Constituant, dans sa première version (étalée sur 10 ans : 1999-2009), un ensemble de trois tomes, le récit de Guibert nous présente, sous forme de mémoires, les tribulations d’un GI (Alan Ingram Cope) durant et après la Seconde Guerre mondiale (8). Cette sorte de reported speech est, à la lettre, un recueil « filé » de témoignages (très documenté) où le souci iconographique, soutenu par un discours ennemi de toute esbroufe, a la densité d’un document historique de première main. Il apparaît vite que la couleur de l’encre et le ton crème des pages ajoutent au récit une plus-value symbolique considérable : le sépia et la sanguine ne sont pas couleurs neutres, qui confèrent aux scènes reconstituées une inoubliable aura de nostalgie. En 2010, L’Association republie l’ensemble de La Guerre d’Alan en un volume unique (24 cm x 34,5 cm). Outre un nouveau péritexte, le papier est devenu beaucoup plus pâle, et l’encrage a viré du marron/rouge au gris rouge, sans doute plus à même de réinventer l’esprit de ce graphie novel hors norme. Le caractère de l’ouvrage en a été effectivement (quoique subtilement) changé : le lecteur n’est plus confronté à un livre mais à un « beau livre ». Ceci entraînant cela, et bien que la teneur du récit soit toujours aussi attachante, l’auteur et l’éditeur ne peuvent empêcher que le gabarit des cases passe les bornes au-delà desquelles le graphisme (le traitement du signifiant dont Guibert sait si bien, pourtant, tirer parti) l’emporte (un peu trop) sur l’effet de réel, si passionnément recherché dans la version originale. Tout dépend, dira-t-on, de ce que l’on attend : le rendu « enregistré » (mis en registre) de la saga d’Alan Ingram Cope, ou bien — la lecture étant une re-lecture — la réévaluation plasticienne de la technique utilisée.
Le Neuvième Art n’est pas qu’affaire de narration figurative. Ses figures, distribuées sur un support contingenté, ont, tout à la fois, la légèreté des signes renouvelables et l’inertie de traces (si élaborées soient-elles) laissées en dépôt. Ce qu’on appelle la lecture consiste à gérer ces traces immobiles en leur conférant le statut, labile, des objets commutables. D’où il découle que la pensée dite « de l’écran » (9) ne saurait totalement prendre le pas sur l’esprit de la page que les bandes dessinées ont enrichi au XXe siècle.

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Notes

1. Sur la scénariographie, on se reportera à notre ouvrage : Fresnault­-Deruelle, Pierre, 2007, Images à mi-mots, Les Impressions nouvelles, Liège.
2. Groensteen Thierry, 2001, Du minimalisme dans la bande dessinée, IXe Art, 6 (CNBDI).
3. Menu Jean-Christophe, 2005, Plates-bandes, Éditions de L'Association.
4. La planche de Little Nemo in Slumberland du 22 octobre 1905 se trouve reproduite en couleurs à la page 15 du recueil édité par Pierre Horay en 1969, Little Nemo.
5. Sur l'OuBaPo, ouvroir de bande dessinée potentielle, on consultera avec profit le dossier de 2004 “OuBaPo” OuBaPo, IXe Art, 10.
6. Mathieu, Marc-Antoine, 2006, Les Sous-Sols du Révolu, Futuropolis/Le Louvre.
7. Ware Chris, 2006, Quimby Mouse, version française, Éditions de L’Association. Une étude de cet album a été publiée (dans la version électronique) en 2010 dans IXe Art (CNBDI). http://neuviemeart.citebd.org/spig.php?article18
8. On pourra se reporter, concernant La Guerre d’Alan, à Images à mi-mots, op. cit.
9. Sur la pensée de l’écran, voir Christin Anne-Marie, 1995, L’image écrite ou la déraison graphique, Flammarion.